Cette petite grenouille, découverte récemment en Équateur, a une singulière capacité : celle de changer en quelques minutes la texture de sa peau, lisse ou couverte de tubercules. Du jamais vu chez les vertébrés. Enfin presque, car en cherchant bien, les zoologistes ont déniché une grenouille appartenant au même genre, capable d'une prouesse semblable. De quoi remettre en cause la description d'espèces à partir d'individus uniques.

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    Elle ne mesure que 2 cm de longueur. Les zoologisteszoologistes l'ont découverte en 2009, dans les forêts andines du nord de l'Équateur. Baptisée Pristimantis mutabilis sp. nov., avec sp. nov. pour « espèce nouvelle », cette petite grenouille marron et verte aime vivre sur les moussesmousses. Elle avait déjà surpris les scientifiques qui avaient exploré cette région montagneuse et découvert sa biodiversité étonnante. Nous avions relaté quelques trouvailles dans cette « forêt des nuages », notamment la plus grande vipère et un des plus petits geckos. À côté d'une grenouille transparente, celles du genre Pristimantis s'étaient fait remarquer car elles pondent leurs œufs dans les arbres et l'éclosion libère non pas une larvelarve nageuse comme chez les anoures (les grenouilles) mais un petit animal ressemblant à l'adulte. Il restait encore une surprise...

    L'équipe de Juan M. Guayasamin, zoologiste de l'université de Quito, a observé par hasard un étrange manège. Lorsque les chercheurs ont prélevé des individus dans leur milieu préféré, les grenouilles avaient la peau du dosdos, des membres et de la tête hérissée de multiples protubérances.

    Avec la couleurcouleur, ce relief les rendait très mimétiques. En revanche, dès que les animaux étaient installés dans la boîte en polystyrènepolystyrène, la peau devenait lisse. S'ils étaient replacés sur la mousse, les rugosités réapparaissaient. Au laboratoire, l'équipe a photographié ce tour de passe-passe en le chronométrant : la transformation s'opère en 330 secondes, soit 5 minutes et demie, comme le détaille l'article publié dans la revue Zoological Journal of the Linnean Society.

    Contrairement aux apparences, ces quatre grenouilles appartiennent à la même espèce. En A et B, deux mâles subadultes, l'un la nuit et chez lui, l'autre au laboratoire. En C et D, des femelles adultes. En plus des variations de la texture de sa peau (entre A et B), cette petite grenouille arbore donc plusieurs aspects selon l'âge et le sexe. Une fantaisie qui peut tromper les zoologistes... © Juan M. Guayasamin <em>et al., </em><em>Zoological Journal of the Linnean Society</em>

    Contrairement aux apparences, ces quatre grenouilles appartiennent à la même espèce. En A et B, deux mâles subadultes, l'un la nuit et chez lui, l'autre au laboratoire. En C et D, des femelles adultes. En plus des variations de la texture de sa peau (entre A et B), cette petite grenouille arbore donc plusieurs aspects selon l'âge et le sexe. Une fantaisie qui peut tromper les zoologistes... © Juan M. Guayasamin et al., Zoological Journal of the Linnean Society

    Gare aux descriptions d'espèces basées sur un individu seulement

    Ce changement d'aspect correspondrait à un camouflage, portant non sur la couleur, comme chez le caméléon par exemple, mais sur la texturetexture de la peau : exubérantes protubérances sur la mousse, peau lisse ailleurs. Il pourrait rendre les animaux moins visibles pour leurs prédateurs, des oiseaux notamment. L'équipe estime que ce changement d'aspect n'est pas déclenché par les variations de lumièrelumière, puisqu'il peut se produire de jour comme de nuit, mais par la perception de l'environnement, l'humidité ou le stressstress. En revanche, ils ne peuvent pas donner d'explications physiologiques à cette modification importante de la texture de la peau.

    Chez les vertébrésvertébrés, une telle capacité était jusque-là inconnue, selon ces chercheurs qui ont tout de même trouvé un autre cas. L'article décrit en effet une autre grenouille, Pristimantis sobetes, appartenant au même genre, capable d'une prouesse semblable. Elle aussi vit dans des forêts humides de la cordillère des Andes. Ils lancent un appel à leurs collègues spécialistes des amphibiens pour prendre garde à ce phénomène de camouflage. S'il est plus répandu qu'on le pense, alors il a sans doute conduit à des descriptions d'espèces différentes là où il n'y en avait qu'une. Or, rappellent-ils, une étude montre que parmi les espèces décrites sur une décennie, nombre d'entre elles - 17,7 % pour les invertébrésinvertébrés et 19 % pour les vertébrés - ne sont connues que par un seul individu...