Ce crâne minuscule mais bien conservé a été découvert au Chili il y a plus de 20 ans. Il apporte de nouvelles informations sur l'évolution du cerveau des primates anthropoïdes au fil du temps.


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    Pour comprendre l'évolution du cerveau au cours de l'histoire, les paléontologuespaléontologues étudient des crânescrânes fossiles. Homo sapiens appartient à la grande famille des primates simiens qui regroupe à la fois des espèces actuelles et fossiles d'humains et de singes, ainsi que leurs proches cousins. Les simiens comprennent deux grands groupes : les platyrhiniens ou singes du Nouveau Monde, et les catarhiniens ou singes de l'Ancien Monde. Les catarhiniens et les platyrhiniens se sont séparés il y a environ 36 millions d'années.

    Cette étude parue dans la revue Science Advances s'est intéressée à un crâne de platyrhinien parmi les plus anciens et les plus complets d'Amérique du sud. Elle a été réalisée par des chercheurs du muséum américain d'histoire naturelle, de l'Académie chinoise des sciences et de l'université de Californie (Santa Barbara).

    Le crâne étudié, daté de 20 millions d'années, a été découvert dans les années 1990, dans les Andes, au Chili et décrit une première fois dans une publication de 1995. Il appartient à une espèce anthropoïdeanthropoïde dont il est le seul spécimen connu : Chilecebus carrascoensis. Le crâne a subi un scanner de haute résolutionrésolution par tomodensitométrie, ce qui a permis de réaliser une modélisationmodélisation 3D de l'intérieur (voir vidéo ci-dessous).

    Modélisation du crâne fossile de Chilecebus carrascoensis. © Xijun Ni and AMNH, Science News, Youtube

    De manière générale, les primates ont un « quotient d'encéphalisation » élevé, c'est-à-dire un volumevolume de l'encéphaleencéphale important par rapport à la taille du corps. Il est même particulièrement élevé dans l'espèce humaine. Ici, le cerveaucerveau de Chilecebus était vraiment petit et devait peser à peine huit grammes, soit environ le poids... d'une framboise. Chilecebus a un « quotient d'encéphalisation phylogénétiquephylogénétique » de 0,79, ce qui est faible, car ce quotient est plutôt compris entre 0,89 et 3,36 chez les singes vivants ; chez l'Homme, il atteint même 13,46. D'après le communiqué du muséum, le volume du cerveau a augmenté à différentes reprises dans l'histoire des primates anthropoïdes, mais il a aussi pu diminuer à certains moments.

    Un petit cerveau avec des sillons

    Mais le petit cerveau de Chilecebus présente une anatomieanatomie surprenante. Chez les primates actuels, les tailles des centres visuels et olfactifs sont inversement corrélées : cela signifie que les primates qui ont une bonne vision sont moins doués pour l'odoratodorat. Or, chez Chilecebus, les centres visuels et olfactifs étaient tous deux de taille réduite, laissant supposer que son odorat n'était pas très développé, et que cela n'était pas compensé par une bonne vision. Par conséquent, contrairement à ce que l'on a pu supposer, l'évolution des centres visuels des primates n'est pas forcément liée à celle des centres olfactifscentres olfactifs, et inversement.

    Les auteurs ont aussi observé que ce petit cerveau possédait au moins sept paires de sillons. La présence de ces replis du cortexcortex suggère une organisation cérébrale relativement complexe pour un primate aussi ancien. Enfin, en étudiant l'ouverture par laquelle passe le nerfnerf optique, les chercheurs en ont déduit que l'animal était plutôt diurnediurne.

    Cette étude suggère donc que le cerveau de certains groupes anciens de primates était peut-être plus complexe que ce que l'on pensait.


    Cerveau : chez les primates, la structure s’est modifiée avant la taille

    Article de CNRS paru le 25 mars 2014

    Proche cousin des Hommes et des grands singes, le Plesiadapis, un petit primate qui vivait il y a plus de 50 millions d'années, intéresse fortement les scientifiques. Armés d'un scanner moderne à haute résolution, ils ont enfin pu reconstituer son cerveau. Leurs résultats suggèrent que la structure de l'encéphale des primates s'est modifiée avant même que sa taille n'augmente.

    Les primates sont habituellement caractérisés par un cerveau de grande taille par rapport à leur massemasse corporelle. L'étude du cerveau de Plesiadapis, un petit primate ayant vécu entre 58 et 52 millions d'années, vient remettre cette idée en cause. Elle suggère en effet que l'augmentation du volume de l'encéphale n'est pas le seul effet de l'évolution : la structure même de ce tissu mou a aussi subi de remarquables transformations.

    Reconstruction 3D in situ du moulage endocrânien de <em>Plesiadapis tricuspidens</em>. © Maëva Orliac, CNRS, Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (Isem)
    Reconstruction 3D in situ du moulage endocrânien de Plesiadapis tricuspidens. © Maëva Orliac, CNRS, Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (Isem)

    Afin de percer les mystères d'un crâne fossilisé de Plesiadapis conservé dans les collections du Muséum d'histoire naturelle, une équipe internationale a utilisé le dernier-né des scanners, le microtomographe à rayons X« Cette technologie permet d'observer ce qui se cache à l'intérieur des fossiles et d'accéder à des informations nouvelles, comme la forme de l'endocrâne », indique Maëva Orliac, chercheuse CNRS à l'Institut des sciences de l'évolution de Montpellier (ISEM) et coauteure de l'article paru dans Proceedings of the Royal Society B.

    Reconstruction 3D in situ du moulage endocrânien de <em>Plesiadapis tricuspidens</em>. © Maëva Orliac, CNRS, Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (Isem)
    Reconstruction 3D in situ du moulage endocrânien de Plesiadapis tricuspidens. © Maëva Orliac, CNRS, Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (Isem)

    Un volume cérébral semblable à celui d’un petit rongeur

    Grâce aux marques laissées par le cerveau de Plesiadapis sur la surface interne du crâne, les chercheurs ont pu reconstituer la forme et l'apparence globale de celui-ci. « Contrairement à ce que l'on imaginait, son néocortexnéocortex [qui est le siège des fonctions supérieures chez les primates, NDLRNDLRa une surface lisse, semblable au cerveau d'un petit rongeur, et un volume encéphalique peu important », décrit la paléontologue.

    « La morphologiemorphologie générale du cerveau, notamment la position relativement basse des bulbes olfactifs [aujourd'hui quasiment invisibles chez l'Homme, NDLR], préfigure en revanche celle des "primates vrais", le groupe dont nous faisons partie avec les grands singes. » De quoi mettre un terme à l'obsession du volume et montrer que les modifications structurelles, même discrètes, sont au moins aussi importantes dans l'évolution du cerveau des primates.