Qui a bricolé ce faux crâne fossile, découvert en 1912, qui aurait appartenu à une espèce humaine inconnue et qui a mystifié les paléontologues durant quatre décennies, jusqu’en 1953 ? Le Français Theilhard de Chardin, prêtre et chercheur, et Conan Doyle, créateur de Sherlock Holmes, ont un temps été accusés. Une étude soigneuse les innocente : Charles Dawson, le découvreur, est le seul coupable de cette supercherie.

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    Une mâchoire et des dents de grand singe fixées sur un crânecrâne humain : c'est le meilleur hoax de la science moderne. Plus d'un siècle plus tard, il vient enfin d'être expliqué par Isabelle De Groote, paléoanthropologue à l'université John Moores de Liverpool, et son équipe. Ce canularcanular n'a qu'un seul coupable : Charles Dawson. En février 1912, cet amateur britannique contacte le paléontologuepaléontologue Arthur Smith Woodward, du British Museum, pour lui faire part d'une découverte majeure : celle de restes humains appartenant manifestement à une espèce disparue.

    Le moment est politiquement opportun car, en 1907, des chercheurs allemands avaient mis au jour un fossile d'un ancêtre de l'Homme, Homo heidelbergensis (un vrai celui-là), qui avait été daté de plus de 200.000 ans, éclairant d'un jour nouveau l'histoire de l’humanité. En cette période de tensions internationales, qui allaient déboucher sur la première guerre mondiale, la découverte britannique vient donc à point pour équilibrer le score avec l'Allemagne. C'est d'ailleurs en faisant référence à l'Homme de Heidelberg que Dawson contacte Smith Woodward.

    En décembre, les deux hommes présentent leur découverte, effectuée sur deux sites voisins. Il y a ce crâne humain paré d'une mandibulemandibule simiesque, des molairesmolaires et des canines de primates, des outils de pierre et quelques restes d'autres animaux. C'est avec ces caractères intermédiaires entre Homme et singe qu'est né Eoanthropus dawsoni, aussi appelé l'Homme de Piltdown (du nom du village anglais où le crâne a été trouvé), dont l'âge a été estimé à 500.000 ans. Quelques fouilles supplémentaires sont faites, sans grands résultats, et la guerre, puis la mort de Dawson, viennent mettre un terme aux recherches.

    Quelques restes fossilisés issus des fouilles de Piltdown observés au scanner (sauf f). Les inclusions blanches sont des petits cailloux, fixés par du mastic et ajoutés pour, littéralement, donner plus de poids à la découverte. © Isabelle De Groote <em>et al.</em>, <em>Royal Society</em>

    Quelques restes fossilisés issus des fouilles de Piltdown observés au scanner (sauf f). Les inclusions blanches sont des petits cailloux, fixés par du mastic et ajoutés pour, littéralement, donner plus de poids à la découverte. © Isabelle De Groote et al., Royal Society

    Mastic et cailloux : les astuces du faussaire

    Les doutes viendront dans les années suivantes, avec des découvertes d'autres hominidés, qui ne ressemblent pas du tout à l'Homme de Piltdown. Le coup de grâce est donné en 1953, quand des chercheurs de l'université d'Oxford utilisent de nouvelles méthodes de datation. La mandibule et le crâne ne sont pas contemporains... De plus, un examen minutieux montre que la mandibule et une canine ont été artificiellement fixées sur le crâne. Les autres fossiles ont été eux aussi intentionnellement amenés sur les sites de fouille. La supercherie est évidente.

    L'enquête désignera des suspects, à commencer par Dawson et Smith Woodward. Le paléontologue français Pierre Teilhard de Chardin, qui avait travaillé à l'excavation des restes, viendra s'ajouter à la liste. Certains y ajouteront Sir Arthur Conan DoyleArthur Conan Doyle, l'auteur des nouvelles dont le héros est Sherlock Holmes.

    Isabelle De Groote et ses collègues ont tout repris à zéro avec les techniques d'aujourd'hui : analyse génétiquegénétique de l'ADNADN, scanner par tomodensitométrie et datation des différents fossiles. Ils détaillent leur travail dans un article de la Royal Society. Les résultats, selon ces chercheurs, impliquent un auteur unique. La mandibule et les dents de singe, trouvées sur les deux sites, viennent du même orang-outang, mais leur datation n'a pas été possible. Les restes humains, eux, sont ceux de deux individus et datent de moins de 1.000 ans.

    Au scanner, les chercheurs ont observé des applicationsapplications soigneuses de masticmastic pour boucher quelques fractures ou des interstices entre os différents, avec une coloration de surface pour les masquer. Par endroits, des petits cailloux étaient inclus dans cette pâte, probablement pour alourdir l'objet, expliquent les scientifiques, car les os fossilisés sont plus denses. Le mode opératoire étant le même sur tous les restes, il n'y aurait qu'un faussaire. Dawson reste donc seul sur la liste des suspects. Smith Woodward, qui était l'un de ses amis, l'a laissé travailler seul et a donc été le premier à être trompé.