Trop simples et modernes : les ganglions cérébraux de cet « anomalocaride », remarquablement conservés, étonnent. Ce prédateur vieux d’environ 500 millions d’années est un cousin de nos arthropodes actuels mais, dans sa tête, il ressemblait plutôt à un ver…

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    Durant le Cambrien, voici plus 500 millions, les animaux nageaient certes dans les océans mais dédaignaient la terre ferme. Certains se nourrissaient du plancton tandis que d'autres croquaient les plus petits qu'eux. Les plus redoutables de ces carnivores étaient sans doute des anomalocarides -- « crevettes anormales » en français -- dont les restes fossiles ont toujours intrigué les paléontologuespaléontologues. Ils pouvaient dépasser deux mètres et leur famille comptait de nombreuses espèces. Leur corps plat et articulé permettait vraisemblablement de nager en ondulant. Il portait sur la tête, outre une bouche rectangulaire, une caractéristique remarquable : une paire de puissants appendices courbes, inconnus chez les arthropodesarthropodes actuels et qui ressemble à nos crevettes. Les fossiles retrouvés étant démantibulés, les paléontologues ont longtemps pris ces appendices dissociés du reste du corps pour des fossiles de sortes de crevettes, d'où le nom du groupe.

    Mais, quand il est apparu dans les années 1980 que ces drôles de crevettes appartenaient au même corps que la sorte de méduseméduse que l'on trouvait souvent à côté, les anomalocarides sont devenus alors encore plus étranges et intéressants. Les biologistes adorent, en effet, retrouver les liens de cousinage entre les espèces (la phylogénie) et avaient déjà remarqué que ces appendices en forme de crevettes évoquaient les antennes costaudes d'un groupe d'animaux méconnus, les péripates, ou onychophores.

    Le fossile remarquablement conservé de _Lyrarapax unguispinus_ retrouvé en Chine. Les couleurs, à droite, viennent d’un traitement informatique de l’image. À gauche, le dessin montre, en noir, la masse cérébrale en forme de X. Les deux petites formes en amandes à l’avant sont les ganglions situés à la base des appendices, absents sur le fossile. Les deux masses noires latérales sont les ganglions optiques. © University of Arizona

    Le fossile remarquablement conservé de _Lyrarapax unguispinus_ retrouvé en Chine. Les couleurs, à droite, viennent d’un traitement informatique de l’image. À gauche, le dessin montre, en noir, la masse cérébrale en forme de X. Les deux petites formes en amandes à l’avant sont les ganglions situés à la base des appendices, absents sur le fossile. Les deux masses noires latérales sont les ganglions optiques. © University of Arizona

    Un système nerveux imprimé dans la pierre

    Vermiformes, protégés par une cuticulecuticule mince à l'aspect velouté, ces discrets habitants des forêts tropicalesforêts tropicales marchent sur de multiples pattes non articulées, qui ressemblent à celles des inénarrables tardigrades, ces impressionnants animaux qui résistent à tout. Ils sont d'ailleurs cousins, à l'instar du reste de nos arthropodes (crustacéscrustacés, insectesinsectes, araignéesaraignées...).

    Aussi, les spécialistes du genre se sont beaucoup intéressés à cet anomalocaride retrouvé par Peiyun Cong et ses collègues, en 2013, dans la province du Yunnan (Chine). L'animal, long de 8 cm, était remarquablement conservé et a pu être étudié de près. Il a reçu son nom de baptême : Lyrarapax unguispinus, ce qui signifie à peu près « prédateur en forme de lyre avec des griffes à épines ». Une équipe internationale vient de publier ses résultats dans Nature et montre la structure du cerveaucerveau, étonnamment visible sur le fossile.

    Il est rarissime de pouvoir observer ainsi les organes d'un animal mort voici un demi-milliard d'années. On distingue nettement une massemasse cérébrale centrale, située en avant de la bouche, reliée aux gros appendices par deux petits ganglionsganglions et connectés à deux gros ganglions optiques, près des yeux (habituellement grands chez ces animaux), le tout formant un X. Les chercheurs ont ainsi pu reconstituer le système nerveux de cet anomalocaride.

    Comparaison des « cerveaux » (en bleu) de l’anomalocaride fossile, à droite, et d’un péripate actuel, à gauche. Chez les deux animaux, une masse cérébrale unique est installée en avant de la bouche (la forme gris foncé sur le dessin de droite). Deux ganglions nerveux, à l’avant, sont solidaires des nerfs qui innervent les antennes du péripate ou les gros appendices frontaux de l’anomalocaride. Les ganglions optiques sont jointifs des yeux. © Nicholas Strausfeld, University of Arizona

    Comparaison des « cerveaux » (en bleu) de l’anomalocaride fossile, à droite, et d’un péripate actuel, à gauche. Chez les deux animaux, une masse cérébrale unique est installée en avant de la bouche (la forme gris foncé sur le dessin de droite). Deux ganglions nerveux, à l’avant, sont solidaires des nerfs qui innervent les antennes du péripate ou les gros appendices frontaux de l’anomalocaride. Les ganglions optiques sont jointifs des yeux. © Nicholas Strausfeld, University of Arizona

    Un cerveau trop simple pour un chasseur

    Première conclusion, en forme de question : pourquoi est-il si simple ? Sa structure semble, en effet, moins complexe que celle des proies qui devaient être les siennes. Or, le cerveau des prédateurs est en général plus perfectionné. Peut-être, avancent les auteurs, parce que l'évolution n'a poussé que plus tard vers des chasseurs plus malins.

    Quant à la seconde conclusion, c'est une réponse : le système nerveux de L. unguispinus ressemble énormément à celui des péripates. Eux aussi ont une masse cérébrale en avant de la bouche avec deux ganglions à la base de leurs grosses antennes.

    Les auteurs rappellent que, jusqu'ici, les physiologistes connaissaient deux types fondamentaux de « cerveau » chez les arthropodes, issus d'ancêtres séparés il y a longtemps. Selon Nicholas Strausfeld (Center of Insect Science, université d'Arizona, États-Unis) et ses collègues, en voici un troisième dont ont hérité les péripates. « Ce résultat est une contribution à un nouveau champ de recherche, la neuropaléontologie » affirme Xiaoya Ma, coauteure de l'étude et chercheuse au Muséum d'histoire naturelle de Londres. Le mot est dit.