Avec ses 4,4 millions d'années, la petite Ardi devient le plus ancien hominidé dont on dispose du squelette complet. Elle nous en apprend beaucoup sur nos ancêtres et sur nos cousins les grands singes.

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    Ardipithecus ramidus, dite Ardi, une femelle de 1,20 mètre qui figure à coup sûr dans la famille des hominidés. © Jay Matternes / Science

    Ardipithecus ramidus, dite Ardi, une femelle de 1,20 mètre qui figure à coup sûr dans la famille des hominidés. © Jay Matternes / Science

    Dix-sept ans de travail, quarante-sept scientifiques de dix pays différents, plus de cent individus extraits du sable du désert et onze publications dans Science ont fini par permettre la description complète d'un des plus vieux représentants connus de la lignée humaine, Ardipithecus ramidus. La découverte initiale date de 1992 quand une équipe du Middle Awash Project a repéré des ossements dans la vallée du Rift, en Ethiopie. Fragiles et souvent en miettes, ces restes étaient très difficiles à extraire et il a fallu un patient labeur de grattage, puis de reconstruction, parfois sur ordinateurordinateur.

    Le travail valait cette peine. Le gisement était exceptionnel par la quantité de restes fossilisés et par leur âge. Le premier squelette complet d'une femelle, baptisée Ardi, date de 4,4 millions d'années. C'est elle qui vient de faire l'objet d'une publication exhaustive dans la revue Science, laquelle met également en ligne une galerie de photos et même un site Web dédié à Ardipithecus, où sont compilés les onze articles qui lui sont consacrés (les résumés seuls sont librement accessibles).

    Nettement plus vieille que Lucy l'australopithèque, exhumée en 1974 dans la même région, et qui vivait il y a 3,2 millions d'années, Ardi n'est cependant pas le plus ancien hominidéhominidé connu (Ardipithecus kadabba est daté de 5,8 à 5,2 millions d'années). Mais son squelette est de loin le plus complet et cette petite femelle, haute de 1,20 mètre pour probablement une cinquantaine de kilogrammeskilogrammes, donne de nouveaux indices pour résoudre une ancienne énigme. La question était de savoir si les ancêtres communsancêtres communs aux hommes et à nos plus proches cousins actuels, les chimpanzés et les bonobos (les panidés), ressemblaient davantage à des singes.


    Les images de droite montrent le crâne d'un chimpanzé (à droite) et celui d'Ardi. A gauche, comparaison de la capacité crânienne et de la taille des dents des chimpanzés actuels (marques rouges) et des fossiles d'Ar. ramidus (triangles verts). La capacité crânienne, de 400 à 550 cm3, est nettement supérieure à celle des actuels chimpanzés (300 à 350 cm3). © Gen Suwa et al. / Science

    Pas plus près des singes actuels que de nous

    Dans l'affirmative, la branche humaine aurait évolué en acquérant des caractères propres tandis que la lignée des grands singes aurait été plus conservatrice. Comme un écho à la vieille idée du chaînon manquantchaînon manquant, l'australopithèqueaustralopithèque, dont LucyLucy, était vu comme un intermédiaire entre un ancêtre ressemblant beaucoup aux grands singes actuels et l'homme moderne, Homo sapiensHomo sapiens. Pour éclairer cette zone de l'histoire de nos ancêtres, il manquait des fossilesfossiles, d'humains mais aussi des ancêtres des chimpanzéschimpanzés.

    Ardi vient donner un élément de réponse. Elle ne ressemblait pas plus à un chimpanzé qu'à un homme moderne. Avec ses longs bras, elle devait être à l'aise dans les arbresarbres mais son bassin et ses pieds rigides étaient ceux d'un marcheur. Cependant, sa voûte plantairevoûte plantaire n'étant pas arquée, Ardi ne devait pas pouvoir courir et les pouces étaient opposables, comme chez les chimpanzés et à la différence de Lucy.

    Avec ses mains plus fines que celles des chimpanzés, Ardi devait avoir des gestes plus précis et, les paléontologuespaléontologues en sont sûrs, ne s'appuyait pas sur ses phalangesphalanges pour marcher à quatre pattes, comme le font les grands singes. Par ailleurs, ses canines étaient déjà petites alors qu'on pensait ce caractère plus récent dans la lignée humaine. Conclusion des auteurs, les caractères propres aux panidés et qui n'existent pas dans la lignée humaine ne sont pas nécessairement des reliques mais des adaptations apparues après la séparationséparation des deux branches, il y a environ 6 millions d'années, chacune ayant évolué de son côté.

    Le tableau final montre un animal moins bien adapté que les chimpanzés à la vie arboricolearboricole. Ardi vivait dans mais aussi autour des arbres, qui devaient être pour elle un refuge contre les prédateurs et une chambre à coucher où elle faisait peut-être des nids, à la manière des chimpanzés actuels. Avec une dentition adaptée à un régime varié, Ardi et ses compagnons vivaient dans une région arborée, comme en témoigne l'étude conjointe des sols où ont été retrouvés les fossiles, mais pas une savane.

    Ils disposaient de leurs caractères propres (comme les dents moins résistantes que celles des australopithèques) mais avaient déjà les habitudes conservées par la suite chez tous les hominidés, comme la bipédie et une tendance à la grosse tête, avec un cerveaucerveau plus volumineux que les chimpanzés (entre 400 et 550 cm3, contre 350 environ).