Samedi 31 mars 2012, la goélette Tara est entrée dans le port de Lorient, d’où elle était partie en septembre 2009, au milieu d’une foule immense : le succès médiatique est réel mais le succès scientifique de cette mission internationale, moins visible, est aujourd’hui assuré et promet de belles découvertes dans les mois et les années à venir. Visitez avec nous le navire qui vient d’écrire une page de l’océanographie mondiale. Sans exagération.

au sommaire


    « Une expédition comme celle-là intéresse les gens » lance Éric Karsenti, biologiste à l'EMBL (Laboratoire Européen de Biologie MoléculaireBiologie Moléculaire, Heidelberg) et codirecteur de Tara Oceans, avec Étienne Bourgois, directeur de la société Agnès b., tous deux à l'origine du projet. En deux ans et demi et 115.000 kilomètres, Tara a visité 32 pays et n'a délaissé que l'Arctique... mais ce n'est que partie remise.

    Le scientifique a raison : quand Tara, ce 31 mars 2012, retrouve son port d'attache, Lorient, une armada de 200 bateaux l'accompagne depuis l'île de Groix et plus de dix mille personnes s'entassent sur les quais pour voir le navire accoster. Une ambiance digne de l'arrivée de la Route du rhum.

    Le <em>Tara</em> est une goélette (le mât avant est plus petit ou, comme c'est le cas, en l'occurrence, aussi haut que le mât principal) à coque d'aluminium et double quille relevable, conçue pour résister à la glace. À bord de ce navire de 36 mètres de long pour 10 de large, la place est comptée pour la quinzaine de personnes, équipage et scientifiques, qui œuvrent à bord. © Jean-Luc Goudet/Futura-Sciences

    Le Tara est une goélette (le mât avant est plus petit ou, comme c'est le cas, en l'occurrence, aussi haut que le mât principal) à coque d'aluminium et double quille relevable, conçue pour résister à la glace. À bord de ce navire de 36 mètres de long pour 10 de large, la place est comptée pour la quinzaine de personnes, équipage et scientifiques, qui œuvrent à bord. © Jean-Luc Goudet/Futura-Sciences

    L'événement est médiatique mais aussi scientifique, comme nous l'expliquait Gabriel Gorsky, directeur du laboratoire de Villefranche-sur-mer et l'un des coordinateurs scientifiques de Tara Oceans. Pour l'essentiel, la mission était tournée vers le plancton et réunissait à chaque station trois types d'analyse.

    • Imagerie : reconnaissance visuelle des organismes planctoniques réalisée de deux manières. Dans le milieu, la « rosetterosette », cet engin descendu 600 fois jusqu'à, parfois, deux mille mètres, était équipé d'une caméra filmant une tranche d'eau d'un litre et transmettait ses données à un ordinateurordinateur embarqué qui analysait les images en temps réel pour compter les organismes planctoniques tout au long de la descente. Dans le bateau, un « laboratoire sec » abrite notamment un microscopemicroscope et un cytomètre à flux, compteur automatique d'organismes microscopiques.
    • GénomiqueGénomique : les prélèvements de plancton, après filtrationfiltration, sont congelés dans l'azoteazote liquideliquide et seront analysés selon les méthodes de la « métagénomiquemétagénomique », c'est-à-dire que le matériel génétiquematériel génétique est analysé globalement et les gènesgènes sont identifiés, pour déterminer les organismes présents, des virus aux larves.
    • Océanographique : à chaque prélèvement, une sonde mesurait la température, la salinitésalinité et la profondeur. Avec le courant et les conditions météorologiques, c'est tout le contexte physicochimique qui peut ainsi être rapproché des observations biologiques.
    Le portique, à la poupe du <em>Tara</em>, permet de descendre les filets à plancton et les instruments de mesure, à l'aide d'un câble d'acier de 2.000 mètres. © Jean-Luc Goudet/Futura-Sciences

    Le portique, à la poupe du Tara, permet de descendre les filets à plancton et les instruments de mesure, à l'aide d'un câble d'acier de 2.000 mètres. © Jean-Luc Goudet/Futura-Sciences

    À la recherche des gènes

    « Jamais, à une aussi grande échelle, une telle association de ces trois domaines n'avait été faite, explique à Futura-Sciences Olivier Jaillon, chercheur au Génoscope d'Évry, qui dépend du CEA. Grâce à elle, nous pouvons caractériser l'écosystème planctonique. L'analyse génétique nous permet d'abord de cataloguer les communautés de virus, d'archéesarchées micro-organismesmicro-organismes ressemblant à des bactériesbactéries, NDLRNDLR], bactéries et eucaryoteseucaryotes [organismes unicellulaires, petits animaux ou larves, NDLR]. »

    Il faudra aussi chercher des gènes particuliers, par exemple ceux impliqués dans les systèmes de photosynthèsephotosynthèse, ou en dénicher de nouveaux pour découvrir des fonctions biologiques inconnues. Pour cela, il faut... des ordinateurs. La spécialité d'Olivier Jaillon est d'ailleurs la « bio-informatique », une discipline qui consiste à exploiter d'énormes bases de donnéesbases de données, par exemple les centaines de milliers de mesures récoltées par Tara Oceans.

    La rosette, mise au point au laboratoire de Villefranche-sur-mer, par Marc Picheral. Elle porte dix bouteilles de prélèvement et, visible au premier plan, l'UVP, <em>Underwater Vision Profiler</em>. Cette caméra, dirigée vers le bas, filme tout au long de la descente la tranche d'eau éclairée par deux projecteurs horizontaux. Un ordinateur capte les images et compte les organismes en temps réel, entre 500 microns et quelques centimètres. Des structures fragiles sont ainsi repérées et identifiées, alors qu'elles seraient écrasées dans un filet à plancton. © Jean-Luc Goudet/Futura-Sciences

    La rosette, mise au point au laboratoire de Villefranche-sur-mer, par Marc Picheral. Elle porte dix bouteilles de prélèvement et, visible au premier plan, l'UVP, Underwater Vision Profiler. Cette caméra, dirigée vers le bas, filme tout au long de la descente la tranche d'eau éclairée par deux projecteurs horizontaux. Un ordinateur capte les images et compte les organismes en temps réel, entre 500 microns et quelques centimètres. Des structures fragiles sont ainsi repérées et identifiées, alors qu'elles seraient écrasées dans un filet à plancton. © Jean-Luc Goudet/Futura-Sciences

    L'analyse des données de Tara Oceans : une autre aventure

    « Cette phase d'analyse coûtera plus cher que l'expédition elle-même... », ajoute-t-il, laquelle est estimée à près de 10 millions d'euros. Pour les responsables de l'expédition, l'heure est donc à l'organisation des analyses, un travail international. Les données en provenance du Tara sont rassemblées à l'EMBL puis distribuées vers des laboratoires européens et américains.

    Il faut aussi trouver des financements... L'affaire est encore loin d'être bouclée mais ce projet d'exploitation des données, Océanomics, a été retenu le 28 février 2012, pour le financement par le Grand Emprunt.

    Le laboratoire sec : les biologistes s'y sentent à l'étroit, tout doit être arrimé, il y fait chaud (« <em>au niveau de l'équateur, avec la clim', il faisait 40° ici</em> », témoigne Christian Sardet, biologiste marin) et sans hublot, l'endroit est propice au mal de mer. Mais les chercheurs y ont tout de même fait leur travail... © Jean-Luc Goudet/Futura-Sciences

    Le laboratoire sec : les biologistes s'y sentent à l'étroit, tout doit être arrimé, il y fait chaud (« au niveau de l'équateur, avec la clim', il faisait 40° ici », témoigne Christian Sardet, biologiste marin) et sans hublot, l'endroit est propice au mal de mer. Mais les chercheurs y ont tout de même fait leur travail... © Jean-Luc Goudet/Futura-Sciences

    « À côté des grandes campagnes océanographiques, l'approche intégrée de Tara Oceans doit nous permettre de retraverser DarwinDarwin ! », s'enthousiasme Françoise Gaill, directrice de l'institut Écologie et environnement du CNRS, qui s'attache à coordonner et soutenir le travail des laboratoires autour des résultats de Tara Oceans.

    « Les analyses génétiques et génomiques des écosystèmes planctoniques nous feront découvrir où sont les originalités parmi les fonctions métaboliques et écosystémiques. Elles nous permettront aussi des recherches plus spécifiques. Nous pourrons mieux comprendre la diversité des machineries cellulaires, témoignage de l'évolution des organismes. » Pour cela, insiste-t-elle, « il faudra mieux organiser le travail à l'échelle internationale sur ce genre d'étude d'ampleur planétaire ».