On sait que le bruit des humains et de leurs moteurs perturbe les animaux marins mais on mesure mal l'effet des sons d'origine naturelle. Une nouvelle étude a découvert une puissante source de pollution sonore, assez inattendue : la dérive des icebergs, parfois aussi bruyante que des navires pétroliers. Cette découverte pourrait aider à mieux comprendre le lien entre le bruit et les modes de vie de la faune marine.

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    Le bruit d'origine humaine dans les océans va jusqu'à provoquer des échouages d’animaux marins. D'une manière générale, il est suspecté de les désorienter et de perturber leur mode de vie. Les baleines à bec sont probablement les mammifères marins les plus sensibles aux perturbations sonores. S'il est difficile de rencontrer ces animaux en mer, ce sont bien souvent les premiers à s'échouer sur les plages à la suite d'essais militaires. On estime qu'en moyenne, le bruit des océans a augmenté de 12 dB ces dernières décennies.

    La pollution sonore est de plus en plus étudiée, au détriment du bruit naturel. Pourtant, certains événements naturels peuvent être beaucoup plus bruyants qu'on le pense. La formation des icebergs par vêlage des glaciers et la fracturation des blocs de glace émettent un bruit terrible dans l'océan. De façon plus surprenante, une nouvelle étude montre que la simple dérive des icebergs, depuis leur lieu de formation jusqu'aux eaux chaudes, libère une énergieénergie sonore énorme. Durant son existence, l'iceberg fournit une énergie équivalente au bruit généré par les moteurs de 214 supertankers (pétroliers de haute capacité) pendant 20 minutes !

    Contrairement à ce que l'on pensait, c'est lorsque l'iceberg fond qu'il fait le plus de bruit. © Robert Dziak, <em>Oregon State University</em>

    Contrairement à ce que l'on pensait, c'est lorsque l'iceberg fond qu'il fait le plus de bruit. © Robert Dziak, Oregon State University

    De sa naissance à sa mort, l'iceberg A53a a été pisté à l'aide d'un réseau d'hydrophones. Une équipe de l'Oregon State University a pu enregistrer et analyser les bruits que générait le bloc de glace de 55 km par 25 km. L'iceberg s'est formé en mer de Weddell, dans l'océan Austral, en avril 2007, puis a pris le chemin du large en empruntant le détroit de Bransfield (entre la péninsule Antarctique et les Shetland du Sud). Il a dérivé vers le nord en mer de la Scotia, et a commencé à fondre dans les eaux plus chaudes en juillet 2007. Leurs résultats sont publiés dans la revue Oceanography.

    La dislocation de la glace est bruyante

    Au début de son trajet, l'iceberg rencontra un plancherplancher océanique qui se situait à seulement 124 m de fond. Le frottement du sol a forcé le bloc de glace à se retourner de 192°, processus qui engendra des tremblements harmoniques semi-continus sur les six jours suivants. Dans le détroit de Bransfield, A53a rencontra à nouveau un plancher océanique peu profond, à 265 m, et se mit à tourner comme une toupie.

    L'énergie sonore émise sur l'ensemble de son cycle de vie était de 6,7 x 107 joulesjoules. Mais cette énergie ne provenait pas du bruit généré par le raclement de l'iceberg au fond de l'océan. « L'énergie provient de sa désintégration rapide à mesure que l'iceberg fond et se disloque, détaille Robert Dziak, principal auteur de l'étude. Nous appelons ces sons les tremblements de glace, parce que le processus et les sons qui en résultent sont un peu comme ceux produits par les tremblements de terretremblements de terre. »

    Des glaçons dans l’eau chaude

    Jusqu'à présent, on pensait qu'un iceberg à la dérive produisait du bruit de façon significative uniquement lorsqu'il grattait le fond océanique, ou participait à une collision. Or, cette étude met en avant que l'iceberg, sur l'ensemble de son cycle de vie, génère une énergie sonore loin d'être négligeable. « Pensez à ce qui se passe lorsque vous versez une eau chaude dans un verre rempli de glaçons. Les bris de la glace et les craquements peuvent être vraiment bruyants. Maintenant, extrapolez cela à un iceberg géant et vous comprendrez l'ampleur de l'énergie sonore », explique encore Robert Dziak.

    À lui seul, le glacierglacier Sermeq Kujalleq produit 35 milliards de tonnes d'icebergs par an, soit 10 % des icebergs du Groenland. Avec ces chiffres, on peut donc concevoir que le bruit généré par la totalité des icebergs dans le monde est énorme. Aujourd'hui, personne n'est en mesure de dire si ce vacarme a un effet sur les populations marines. Mais compte tenu de ces résultats, il serait intéressant de se pencher sur la question. Y répondre permettrait peut-être d'en savoir plus sur le lien entre le bruit et les modes de vie des animaux marins.