La technologie moderne permet de reproduire les conditions de pressions et de températures extrêmes à l'intérieur de la Terre et d'étudier le comportement du fer de son noyau. Il peut cristalliser en donnant une structure nouvelle lui conférant une résistance inédite, selon une expérience réalisée avec des lasers.


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    Une équipe internationale de physiciensphysiciens menée par Sébastien Merkel de l'université de Lille en France vient de publier dans Physical Review Letters les résultats de travaux qui auraient à nouveau et sans aucun doute intéressé Percy Williams Bridgman (1882-1961), l'un des pionniers de la physiquephysique des hautes pressionspressions, comme Futura l'expliquait déjà dans le précédent article ci-dessous consacré à des travaux similaires.

    Il s'agit en effet de mieux comprendre le comportement du ferfer dans des conditions de pressions et de températures extrêmes comme celles que l'on peut rencontrer à la frontière entre la graine solidesolide du noyau de la Terrenoyau de la Terre et son enveloppe liquideliquide. L'alliagealliage de fer et de nickelnickel en fusionfusion se cristallise en effet lorsque l'on descend encore plus profondément dans la graine. Les conditions régnantes sont aussi similaires à celles qui ont dû se produire lors de la collision d'embryonsembryons de planètes déjà différenciés et avec un noyau similaire à celui de la Terre au début de l'histoire du Système solaireSystème solaire. Ce ne sont pas seulement les géophysiciens et les planétologues qui peuvent tirer des renseignements de l'étude du comportement du fer dans des conditions extrêmes, les ingénieurs y sont parfois confrontés, par exemple lorsqu'il s'agit de comprendre comment un bouclier thermique va se comporter pour une sonde pénétrant à grande vitessevitesse dans l'atmosphère d'une planète.


    Une introduction à la cristallographie aux rayons X. En utilisant le phénomène de diffraction elle livre des secrets du solide cristallisé, mais pas seulement. © The Royal Institution, YouTube

    La cristallographie, la science des cristaux et de l'état cristallin

    Plusieurs outils sont nécessaires pour étudier cette physique du fer dans des conditions extrêmes. On peut bien sûr faire des simulations numériquessimulations numériques, mais ces simulations ont besoin d'être nourries et autant que possible confirmées par des expériences en laboratoire rendues possibles par les derniers progrès de la technologie. En l'occurrence, les physiciens ont utilisé des faisceaux laserlaser, d'abord dans le domaine du visible pour produire des ondes de choc dans un échantillon de fer et ensuite dans le domaine des rayons Xrayons X, ce qui a permis de faire des expériences de diffractiondiffraction par rayons X pour révéler les modifications de la structure cristalline du fer. Que ce soit au sujet de la structure cristalline de la matièrematière ou de la diffraction des rayons X, on pourra consulter deux références bien connues, le cours de physique de Feynman bien sûr mais aussi le cours d'introduction à la physique du solide de Charles Kittel qui a été un des maîtres de Pierre-Gilles de Gennes.

    Sébastien Merkel et ses collègues ont donc employé les moyens du SLACSLAC National Accelerator Laboratory, en Californie, pour atteindre des pressions environ 360 millions de fois supérieures à celle que nous connaissons à la surface de la Terre et des températures pas très éloignées de celle de la surface du SoleilSoleil. L'étude cristallographique a été rendue possible par les rayons X produits par le laser à électrons libreslaser à électrons libres de la Linac Coherent Light Source (LCLS) du SLAC.

    Habituellement, les atomes de fer sont disposés avec un atome au centre d'un cube et à chaque sommet (à droite). À des températures suffisamment élevées, le fer maintient cet arrangement cubique avec des atomes de fer à chaque sommet, mais plutôt qu'un atome de fer au centre, il y a un atome de fer sur chacune des six faces du cube (à gauche). À des pressions suffisamment élevées, l'arrangement des atomes de fer se transforme d'un cube en un motif hexagonal (au milieu). © Université Yonsei
    Habituellement, les atomes de fer sont disposés avec un atome au centre d'un cube et à chaque sommet (à droite). À des températures suffisamment élevées, le fer maintient cet arrangement cubique avec des atomes de fer à chaque sommet, mais plutôt qu'un atome de fer au centre, il y a un atome de fer sur chacune des six faces du cube (à gauche). À des pressions suffisamment élevées, l'arrangement des atomes de fer se transforme d'un cube en un motif hexagonal (au milieu). © Université Yonsei

    Des transitions de phase provoquées par les hautes pressions

    C'est un échantillon de fer de la taille d'un cheveu qui a été bombardé de photonsphotons laser. Dans les conditions déjà atteintes par des expériences précédentes, et en accord avec les prévisions théoriques, on avait constaté que la structure cubique du fer subissait une transition de phasetransition de phase, et de cubique elle devenait hexagonale. Rappelons que comme l'explique le cours de Feynman, les cristaux sont formés par répétition périodique d'une structure géométrique élémentaire formée d'atomesatomes. Dans les conditions normales de température et de pressionconditions normales de température et de pression, cette structure élémentaire pour le fer est un cube avec les atomes au sommet et au centre. Mais cela change donc à des milliers de degrés et sous de hautes pressions, comme on peut le voir sur le schéma ci-dessus.

    Les atomes de fer forment un réseau hexagonal à haute pression. Sous des pressions encore plus élevées et une déformation ultrarapide, le réseau de fer se réorganise <em>via</em> un processus appelé <em>twinning</em> en anglais et que l'on peut traduire par « jumelage ». Les minéralogistes français parlent plutôt de formation de macles. © Sébastien Merkel
    Les atomes de fer forment un réseau hexagonal à haute pression. Sous des pressions encore plus élevées et une déformation ultrarapide, le réseau de fer se réorganise via un processus appelé twinning en anglais et que l'on peut traduire par « jumelage ». Les minéralogistes français parlent plutôt de formation de macles. © Sébastien Merkel

    Mais, aujourd'hui, les géophysiciens du solide ont découvert un état inédit du fer et d'une solidité extrême. Sous l'effet des contraintes de pression et de température, les structures élémentaires en forme de prismes hexagonaux tournent de 90 degrés les uns par rapport aux autres en donnant des structures que l'on connaît pour des minérauxminéraux macroscopiques, à savoir des macles.

    Le phénomène se produit en un milliardième de seconde et c'est un exploit d'avoir pu le saisir. Personne ne l'avait jamais observé directement avec du fer sous des températures et des pressions aussi élevées auparavant. À vrai dire, les physiciens ne savaient pas vraiment comment allaient se comporter les atomes de fer, bien que le phénomène de formation de macle sous des pressions pas exotiquesexotiques s'observait depuis longtemps avec des minéraux et des métauxmétaux comme le quartz, la calcite, le titanetitane et le zirconiumzirconium.

    Dans un avenir proche, on devrait faire encore mieux, comme l'explique dans un communiqué de l'université de Lille Sébastien Merkel : « Désormais, un nouveau laser européen à rayons X a ouvert à Hambourg, une installation d'ampleur qui a nécessité 1,2 milliard d'euros d'investissement public. Un nouvel instrument vient aussi d'y être installé qui permettra d'atteindre des températures et pressions encore plus extrêmes, et des mesures plus précises. Dans le cadre d'un gros consortium international, nous allons être parmi les premiers utilisateurs de cette installation, en mai 2022. Nous pourrons ainsi étudier les propriétés de la matière dans des conditions rarement explorées. »

    Une photo de l'expérience qui a été menée au <em>SLAC National Accelerator Laboratory</em> en Californie. Elle a utilisé d’abord un premier laser pour générer une onde de choc dans l’échantillon de fer, lui faisant atteindre plus de 4.000 degrés et près de deux millions de fois la pression atmosphérique, pendant dix milliardièmes de seconde. Ensuite, elle a pu suivre ce qui s’y déroule en temps réel, avec un second laser, à rayons X cette fois. © Sébastien Merkel, Univ. Lille / CNRS / Inrae / ENSCL, SLAC  
    Une photo de l'expérience qui a été menée au SLAC National Accelerator Laboratory en Californie. Elle a utilisé d’abord un premier laser pour générer une onde de choc dans l’échantillon de fer, lui faisant atteindre plus de 4.000 degrés et près de deux millions de fois la pression atmosphérique, pendant dix milliardièmes de seconde. Ensuite, elle a pu suivre ce qui s’y déroule en temps réel, avec un second laser, à rayons X cette fois. © Sébastien Merkel, Univ. Lille / CNRS / Inrae / ENSCL, SLAC  

    Du fer comprimé au laser révèle le noyau de la Terre

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 10/07/2016

    Grâce à une nouvelle technique utilisant un laser de grande puissance, capable, simultanément, de chauffer et de comprimer du fer, des géophysiciens ont approché les conditions régnant dans le noyau de la Terre. De quoi mieux comprendre notre planète, avec sa tectonique des plaques et son champ magnétiquechamp magnétique. Mais l'équipement servira aussi pour simuler le cœur des superterressuperterres.

    Une partie de l'équipement du laser de puissance au Luli, le Laboratoire pour l'Utilisation des Lasers Intenses, une unité mixte de recherche (CNRS, École Polytechnique, CEA, université Pierre et Marie Curie). Cet instrument sert à étudier la physique des plasmas chauds, depuis les atomes jusqu'aux étoiles en passant par les planètes. © Luli<br> 
    Une partie de l'équipement du laser de puissance au Luli, le Laboratoire pour l'Utilisation des Lasers Intenses, une unité mixte de recherche (CNRS, École Polytechnique, CEA, université Pierre et Marie Curie). Cet instrument sert à étudier la physique des plasmas chauds, depuis les atomes jusqu'aux étoiles en passant par les planètes. © Luli
     

    Une équipe internationale de physiciens japonais, britanniques et français vient de publier dans les Pnas les résultats de travaux qui auraient sans aucun doute plu à Percy Williams Bridgman, l'un des pionniers de la physique des hautes pressions. Inventeur d'une technique permettant de soumettre des échantillons de matière à des pressions dépassant 100.000 atmosphères, ce scientifique américain a eu l'idée des cellules à enclumes. Elles ont permis de réaliser des expériences sur l'état de la matièreétat de la matière à grande profondeur, au cœur de la Terre ou de planètes géantesplanètes géantes comme Jupiter.

    Les plus célèbres cellules à enclumes sont celles de son élève Francis Birch qui, en 1952, a démontré que le manteaumanteau de la Terre est principalement composé de silicatessilicates, et que notre planète dispose aussi d'un noyau externe liquide et d'un noyau interne solide, tous deux constitués de fer. Pour cela, il a comparé les données provenant de l'analyse des ondes sismiquesondes sismiques se propageant à l'intérieur de la Terre à celles déduites de l'étude des ondes élastiquesondes élastiques similaires parcourant en laboratoire des matériaux soumis aux hautes pressions et températures.

    Le prix Nobel de physique 1946 Percy Williams Bridgman (1882-1961) a ouvert la voie à l'étude de la matière à haute pression à l'intérieur des planètes. Il a eu comme étudiants Robert Oppenheimer, le grand géophysicien Francis Birch et le futur prix Nobel de physique John Hasbrouck van Vleck. Il est considéré comme l'un des théoriciens les plus influents de l'opérationnalisme en épistémologie. © Fondation Nobel
    Le prix Nobel de physique 1946 Percy Williams Bridgman (1882-1961) a ouvert la voie à l'étude de la matière à haute pression à l'intérieur des planètes. Il a eu comme étudiants Robert Oppenheimer, le grand géophysicien Francis Birch et le futur prix Nobel de physique John Hasbrouck van Vleck. Il est considéré comme l'un des théoriciens les plus influents de l'opérationnalisme en épistémologie. © Fondation Nobel

    Le cœur de la Terre, clé de sa géodynamique et de son champ magnétique

    Les cellules à enclumes de Bridgman étaient initialement composées de carburecarbure de tungstènetungstène. Elles ont pavé la voie aux cellules à enclumes de diamant, utilisées aujourd'hui de façon routinière pour des expériences à haute pression. Avec elles et des rayons X produits par des synchrotrons, les physiciens ont tenté de préciser depuis une vingtaine d'années la température et l'état du fer à l'interface entre la graine, la partie solide du noyau de la Terre, et sa partie externe, qui est liquide.

    C'est une question d'importance en particulier parce que la chaleurchaleur libérée par la cristallisation du noyau entretient les mouvementsmouvements turbulents à l'origine du champ magnétique terrestrechamp magnétique terrestre, via le fameux effet de dynamoeffet de dynamo autoexcitée reproduit en laboratoire par l'expérience VKS. Plus généralement, le transfert de chaleur entre le noyau et le manteau intervient dans les mouvements convectifsmouvements convectifs à l'origine de la tectonique des plaques et du volcanismevolcanisme. Là aussi, pour mieux comprendre ces phénomènes, il faut mieux connaître l'état et la température du fer dans le noyau.

    Une coupe de la météorite Gibeon, une sidérite octaédrite classée IV A, trouvée en Namibie en 1836. La belle structure de ses figures de Widmanstätten et son excellent état de conservation en font la météorite la plus utilisée en bijouterie. Pour les géologues, elle donne des indices sur l'aspect du noyau en fer et en nickel de la Terre. On pense en effet que ces météorites sont des vestiges des noyaux de petites planètes. © L. Carion, carionmineraux.com
    Une coupe de la météorite Gibeon, une sidérite octaédrite classée IV A, trouvée en Namibie en 1836. La belle structure de ses figures de Widmanstätten et son excellent état de conservation en font la météorite la plus utilisée en bijouterie. Pour les géologues, elle donne des indices sur l'aspect du noyau en fer et en nickel de la Terre. On pense en effet que ces météorites sont des vestiges des noyaux de petites planètes. © L. Carion, carionmineraux.com

    Que devient le fer à 4.000 degrés et 1,7 million d'atmosphères ?

    Malheureusement, les données obtenues ces dernières années et les travaux théoriques étaient contradictoires dans la prédiction de la structure cristalline du fer et de sa courbe de fusion aux pressions typiques du noyau. Pour progresser, un changement de stratégie était indispensable. Comme l'expliquent les chercheurs dans l'article des Pnas, elle a consisté à utiliser une technique expérimentale appelée compression dynamique.

    Les échantillons de fer étaient à la fois comprimés et chauffés par une onde de choc produite à l'aide de lasers de puissance, en l'occurrence ceux des installations de Gekko XII, de l'université d'Osaka, et Luli 2000, de l'École Polytechnique. L'état du fer dans ces expériences se reflète dans la diffraction des rayons X qui traversent les échantillons.

    De cette manière, les géophysiciens ont réussi à étudier du fer hautement comprimé pendant le temps très court (1 nanoseconde, soit 1 milliardième de seconde) dans sa phase cristallisée dite « hcp » (hexagonal closed packed, empilement atomique hexagonal compact) à des pressions supérieures à 1,7 million de fois la pression atmosphériquepression atmosphérique et des températures de 4.150 kelvinskelvins.

    Cette région du diagramme de phasediagramme de phase du fer était encore quasiment inexplorée. La performance est de bon augure car les études avec cette technique vont se poursuivre et elles devraient donner non seulement des renseignements supplémentaires sur notre planète mais aussi sur le cœur des superterres.