En Himalaya, une équipe franco-américaine a découvert que les formations montagneuses stabilisent le cycle du carbone, se montrant très efficaces pour le figer durablement dans le graphite, qui retourne au fond des océans.

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    Valier Galy, géologue, prélève des sédiments dans la plaine du Gange. © INSU

    Valier Galy, géologue, prélève des sédiments dans la plaine du Gange. © INSU

    Si important soit-il pour le climat terrestre, le cycle du carbone, avec ses composantes atmosphériques, biologiques et géologiques, reste encore bien mal compris. Les rouages de ses mécanismes tournent à plusieurs vitessesvitesses jusqu'aux plus longues échelles de temps, où volcanisme, érection des montagnes et érosion sont les phénomènes dominants.

    Les volcans émettent massivement du gaz carboniquegaz carbonique (CO2) que la sédimentationsédimentation incorpore, après passage par les êtres vivants, en calcaire, voire en pétrolepétrole ou en charboncharbon. La formation des chaînes de montagnes enfouit de larges quantités de roches et de sédimentssédiments organiques en profondeur, où de fortes pressionspressions et des températures élevées leur font subir de profondes transformations (c'est le métamorphismemétamorphisme). Pour l'essentiel, ce carbone organique piégé et cuit à point est transformé en graphitegraphite, cette matière noirematière noire organisée en feuillets. Enfin, l'érosion, par le ventvent et le ruissellement de l'eau, restitue une grande partie de ces roches à l'atmosphèreatmosphère et à l'océan, libérant une certaine quantité de ce carbone dit pétrogénique. « Une certaine quantité », oui, mais combien exactement ?

    Dans les hauteurs de la vallée de la Kali Gandaki, une rivière venue des plateaux tibétains et dévalant jusqu'au Gange, en s'insinuant entre le massif des Annapurna et le Dhaulagiri. © INSU

    Dans les hauteurs de la vallée de la Kali Gandaki, une rivière venue des plateaux tibétains et dévalant jusqu'au Gange, en s'insinuant entre le massif des Annapurna et le Dhaulagiri. © INSU

    Comment suivre le carbone de la Kali Gandaki au Gange

    Sur ce cycle long qualitativement bien compris, il reste difficile de mettre des chiffres. Des géologuesgéologues français du CNRS - OlivierOlivier Beyssac (ENS Paris), Christian France-Lanord (CRPG de Nancy) -, ainsi que Valier Galy (actuellement à la Woods Hole Oceanographic Institution), se sont attelés à la tâche en s'attaquant au cas de l'Himalaya, montagne jeune et en plein dynamisme. Depuis les hautes vallées népalaises jusqu'au golfe du Bengale en passant la vallée du Gange, ces scientifiques se sont faits trekkeurs et ont suivi sur plusieurs milliers de kilomètres les mécanismes d'érosion à l'œuvre entre les sources des rivières et l'océan Indien.

    L'an dernier, l'équipe avait fourni ses premiers résultats : l'Himalaya et ses milliers de torrents envoient vers la mer un milliard de tonnes de sédiments organiques par an. De plus, les mesures effectuées dans le Golfe du Bengale depuis un navire océanographique allemand avaient montré que la quasi-totalité des sédiments charriés par les fleuves se dépose sur le fond océanique et y restera piégé jusqu'à l'enfouissement en profondeur.

    Cette année, les mêmes auteurs présentent des résultats affinés et concernant le carbone pétrogénique. Les prélèvements successifs (des roches en altitude et des sédiments près de l'océan) ont été examinés au microscope électroniquemicroscope électronique à transmission et en spectroscopie Ramanspectroscopie Raman. Dans l'article publié dans Science, les géologues indiquent que, de façon inattendue, le graphite est très peu altéré par le voyage. Parvenu intact à l'océan, il s'y diffusera pour sédimenter de nouveau. En revanche, les roches qui ont subi un métamorphisme moins efficace, devenues charbon ou kérogènekérogène (état intermédiaire entre roche et charbon), sont, elles, sévèrement attaquées par l'oxygène de l'airair et leur carbone s'évade en grande partie dans l'atmosphère sous forme de gaz carbonique.

    En pistant le 14C, les géologues ont déterminé qu'une proportion de 30 à 50% du carbone des roches himalayennes reste confinée dans le graphite, échappant au retour vers l'atmosphère. Cette graphitisation (un terme utilisé aussi par l'industrie) représente donc un mécanisme jusque-là sous-estimé de fixation du carbone dans un réservoir indépendant de l'atmosphère et ce à l'échelle des temps géologiqueséchelle des temps géologiques. Il ne reste plus aux auteurs qu'à parcourir les Alpes, les Andes et quelques autres massifs jeunes pour parfaire leurs résultats...