Volcans et dérive des continents sont les manifestations les plus évidentes de la machine thermique qu'est la Terre, alimentée par ses réserves de chaleur dont une partie provient de la désintégration d'isotopes radioactifs. Aujourd'hui détectable, le flux de « géoneutrinos » issus de ces réactions nous éclaire sur l'origine et le fonctionnement de la machine qui fait de la Terre une planète vivante.

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    Le naturaliste français Buffon a probablement été le premier à mener une étude scientifique sur l'histoire thermique de la Terre et l'origine de sa chaleurchaleur. Mais ce n'est qu'avec la découverte de la radioactivité que les physiciensphysiciens ont commencé à comprendre la machine thermique qu'est notre Planète. Elle leur a permis, au début du XXe siècle, d'expliquer le flux de chaleur issu de l'intérieur de la Terre par la désintégration des éléments radioactifs présents dans les roches. L'énergieénergie libérée permettait aussi de mieux comprendre l'origine des courants de convectionconvection brassant le manteaumanteau de la Terre et à l'origine de la dérive des continents.

    Par la suite, il est devenu clair que la formation de la Terre par accrétionaccrétion devait aussi avoir doté notre Planète d'un stock de chaleur conséquent. Le matériaumatériau chondritique originel a apporté de l'énergie gravitationnelle et pas seulement certains isotopesisotopes radioactifs. Parmi eux, les plus efficaces pour contribuer à la convection dans le manteau doivent être des noyaux de potassiumpotassium (K), d'uraniumuranium (U) et de thoriumthorium (Th).

    Des isotopes radioactifs répartis entre le manteau et la croûte

    Dans ce scénario, certaines questions demeurent cependant sans réponse. Les incertitudes sur le flux de chaleur de la Terre et la quantité d'éléments radioactifs qu'elle contient sont telles que l'on ne sait pas précisément quelle est la part de la chaleur interne du globe qui est un résidu du processus d'accrétion gravitationnel. Enfin, des considérations de géochimie indiquent que l'essentiel des noyaux radioactifs (K, U et Th) doit se trouver concentré dans la croûtecroûte. Ce sont en effet des éléments dits lithophiles et il était donc logique de les retrouver dans la croûte suite à la différentiationdifférentiation de la Terre peu après sa formation à partir d'un matériau chondritique. Or, les mesures indiquent que le compte n'y est pas, ce qui conduit à penser que du potassium, du thorium et de l'uranium devraient se trouver dans le manteau.

    Afin d'y voir plus clair, il faudrait pouvoir déterminer exactement quelles quantités de chaleur sont produites dans la croûte et dans le manteau par radioactivitéradioactivité. Mais comment s'y prendre ?


    Le volcanisme et la dérive des continents sont les manifestations les plus évidentes de la chaleur interne de la Terre. Le grand volcanologue Haroun Tazieff nous fait connaître dans cette vidéo l'un des volcans les plus emblématiques de ces manifestations, celui de l'Erta Alé, en Éthiopie. © Ina

    Les progrès de l'astrophysiqueastrophysique et de la physiquephysique des particules depuis quelques décennies commencent à apporter des réponses. Ce qui n'est au fond pas surprenant car la Terre est aussi un astreastre. De ce point de vue, la géophysique est une branche de l'astrophysique. Or, les noyaux de potassium, thorium et uranium se désintègrent en émettant des antineutrinos électroniques.

    Même si leur énergie est faible en comparaison de ceux produits par les explosions de supernovaesupernovae ou le cœur du SoleilSoleil, ces particules sont très pénétrantes et traversent des milliers de kilomètres de roches sans être arrêtées. Elles peuvent donc être étudiées en utilisant des détecteurs initialement dédiés à l'astronomie des neutrinos ou de la physique des particules. En particulier, KamLand (Kamioka Liquid scintillator Anti-Neutrino Detector) et Borexino, construits pour étudier les neutrinosneutrinos solaires, sont précisément conçus pour étudier des flux de neutrinos de basses énergies.

    Des géoneutrinos en provenance du manteau

    Déjà en 2010, des physiciens partis à la chasse des « géoneutrinos » en avaient détecté quelques-uns. La tâche n'est pas simple car des antineutrinos similaires sont produits aussi par les réacteurs nucléaires. C'est avec le détecteur Borexino enterré sous le Gran Sasso en Italie que cette chasse a été menée de 2007 à 2015. Les tout derniers résultats ont été exposés dans un article déposé sur arxiv.

    Depuis 2007, parmi les antineutrinos détectés, 24 sont d'authentiques géoneutrinos. Ils proviennent de la désintégration de noyaux d'uranium 238 et de thorium 232. Les mesures et les estimations déjà faites et annoncées en 2010 ont non seulement été consolidées mais il est possible aujourd'hui de dire qu'au moins la moitié de ces géoneutrinos proviennent du manteau et pas de la croûte.

    Selon les chercheurs, ces résultats ne sont qu'un début. On commence tout juste à faire la différence entre les géoneutrinos provenant de l'uranium 238 et ceux issus du thorium 232. La géophysique des neutrinos devrait progresser dans l'avenir jusqu'à permettre de dire avec précision où se trouvent concentrés les isotopes radioactifs principaux faisant fonctionner la machine thermique Terre et de départager nettement leurs contributions respectives. En retour, la cosmogonie et l'histoire de notre Planète seront mieux connues. On constate déjà un bon accord avec les prédictions des quantités d'isotopes radioactifs apportés par les petits corps célestes de nature chondritique à l'origine de la Terre.