Au dernier moment, les spéléologues de l'expédition en Haïti ont découvert quelques passages d'eau horizontaux, promesses de rivières souterraines. Face à un massif à la géomorphologie plus complexe que prévu, l'équipe a exploré 95 gouffres et cartographié une région avec un canyon jusque-là inconnu. Olivier Testa nous dresse un premier bilan, et conclut... qu'il faudra revenir.

au sommaire


    L'expédition Anba Macaya, Verticales souterraines, est terminée. Riche en surprises et en émotion, cette exploration, menée par six spéléologues, a parcouru le massif karstique de Macaya, en Haïti, à l'ouest de l'île d'Hispaniola. L'objectif était d'établir la topographie des cheminements d'eau sous la forêt tropicale du plateau Formon, dans le parc national de Macaya. Grâce à la collaboration de l'équipe et à des liaisons InternetInternet parfois suffisantes, Futura-Sciences a pu vous faire vivre cette aventure de l'intérieur. Après le retour de l'équipe, nous laissons la parole à Olivier Testa pour raconter les dernières péripéties, avec notamment la découverte - enfin - de passages d'eau horizontaux.

    Pour la dernière semaine de l'expédition, nous nous sommes déplacés au nord du massif de Macaya en guise de reconnaissance pour l'avenir. Juste avant le départ de Formon, nous avons fait la découverte du canyon de la ravine Casse-cou. Cette rivière borde le versant oriental du plateau de Formon. Elle ne coule qu'après de fortes pluies et s'assèche ensuite. Lors des prospections, il avait semblé aux spéléologues, au loin, que le cours de la rivière disparaissait, peut-être sous terre.

    Partant avec nos cordes, comme à l'accoutumée, pour suivre la ravine, nous avons réalisé qu'au lieu de s'engouffrer dans un parcours souterrain, la rivière a creusé un canyon tout en courbes qui nous a laissés bouche bée. La rivière s'est enfoncée par endroit sur 70 m, et le parcours se fait dans un étroit goulet de 3 à 5 m de large avec des parois abruptes, sur un kilomètre de long.

    Marie-Pierre Lalaude-Labayle, chef de l'expédition, dans une des grottes de Duchity. © Jean-François Fabriol

    Marie-Pierre Lalaude-Labayle, chef de l'expédition, dans une des grottes de Duchity. © Jean-François Fabriol

    Canyon inconnu

    Sur le parcours, cascades, toboggans et ressauts s'enchaînent dans un parcours ludique qui n'avait selon toute vraisemblance jamais été visité. En effet, aux deux extrémités du canyon, deux verticales en barrent l'accès. Les autorités du parc ignoraient l'existence de ce canyon et ont dépêché une équipe que nos spéléologues ont accompagnée. « Je n'ai jamais rien vu de tel en Haïti, raconte l'assistant technique pour le développement du parc de Macaya. C'est gigantesque, c'est magnifique. »

    Lors de l'exploration sur le versant nord du parc, à côté de Duchity, pour la dernière semaine, ce sont enfin des grottes horizontales qui se sont offertes. En remontant le cours des rivières, plusieurs résurgences, pénétrables celles-ci, ont pu être parcourues et topographiées. « Nous avons remonté les rivières souterraines en nageant, raconte Pascal Orchampt. J'avais de l'eau jusqu'au cou et le casque qui frottait contre le plafond. Que c'était bas ! Le matériel topo flottait à côté de moi dans un sac étanche, et j'ai pu topographier 260 m de rivière avec Jean-Francois. Nous avons fait demi-tour faute de temps, mais la rivière continue ! »

    Les milieux tropicaux, par la grande dissolution calcaire des eaux, sont propices à la formation de concrétions. © Jean-François Fabriol

    Les milieux tropicaux, par la grande dissolution calcaire des eaux, sont propices à la formation de concrétions. © Jean-François Fabriol

    Les surprises du massif de Macaya

    Après le retour en France, l'heure est au premier bilan. L'expédition spéléologique que nous avons menée avait pour objectif de traverser le massif de Macaya par l'intérieur. Les cartes, la géomorphologie et la géologie connues avant l'expédition nous donnaient bon espoir d'atteindre cet objectif.

    Nous avons exploré 95 gouffres au cours de l'expédition, et tous sont bouchés par des éboulis. La géologie réelle du massif est plus complexe que les géologuesgéologues le pensaient jusqu'à présent, avec probablement un étage calcairecalcaire inférieur invisible. L'exploration spéléologique est pleine d'incertitudes, car on part à la recherche de grottes, par nature cachées. C'est aussi ce qui donne le piment à l'exploration et à la découverte de grands gouffres. Si on trouvait à chaque fois, nous n'aurions plus l'adrénalineadrénaline de la découverte...

    J'avais décidé avec Marie-Pierre Lalaude-Labayle de mener cette expédition à la saisonsaison des pluies. Original pour une expédition spéléo, quand on connaît les dangers que peut avoir une crue en spéléologiespéléologie... Je voulais voir comment se comporte le karst lorsqu'il est gorgé d'eau, et ses réactions aux oragesorages. Les pluies torrentielles nous ont bloqués plusieurs jours au cours de l'expédition, mais je suis très content de ce choix. En effet, voir des rivières à sec en cette saison ou des résurgences taries nous a beaucoup appris.

    Un anoli, <em>Anolis ricordi</em>, tombé par malchance et trouvé au fond d'un gouffre. Ces cavités sont des pièges pour les animaux, domestiques et sauvages. De nombreux ossements ont été retrouvés dans les cavités explorées. © Olivier Testa

    Un anoli, Anolis ricordi, tombé par malchance et trouvé au fond d'un gouffre. Ces cavités sont des pièges pour les animaux, domestiques et sauvages. De nombreux ossements ont été retrouvés dans les cavités explorées. © Olivier Testa

    Prochaine mission : où l'eau passe-t-elle ?

    Après six semaines isolés de tout, six semaines loin de la vie moderne (Internet, électricité à la prise, eau courante, voituresvoitures et bruits de la ville), les membres de l'expédition sont rentrés en France. Le retour à la « civilisation » n'est pas facile, mais nous rêvons de retourner sur Macaya, pour explorer le reste du massif.

    La découverte des rivières souterraines, la dernière semaine, nous a redonné de l'espoir. Nous espérons bien revenir aussi pour plonger dans la résurgence. Logistiquement, ce sera difficile, mais la question demeure : par où passe l'eau, et existe-t-il un collecteur à l'intérieur du massif ? D'ici là, il faut mettre au propre les données topographiques et cartographiques, analyser les enregistrements pris par les sondes placées dans la résurgence, identifier les ossements trouvés au fond des gouffres, et compiler toutes les données.

    Remerciements

    L'expédition Anba Macaya, Verticales souterraines était organisée par Le Spéléo Groupe de La Tronche (38) et soutenue par les Bourses Labalette Aventure, les Bourses Expé et le Comité Départemental de Spéléologie de l'Isère. Les partenaires techniques indispensables à la bonne réalisation de cette épopée sont : Expé, Petzl, The North Face, Julbo, Béal, FiveTen, Ortlieb, NOT Engineers, Karst3E, et la Fédération Française de Spéléologie, ainsi que notre partenaire média Futura-Sciences.