L'image des dinosaures vus comme de stupides reptiles à sang froid s'éloigne encore. Les isotopes présents dans les os d'embryons d'oviraptors montrent qu'ils couvaient leurs œufs à l'instar des oiseaux.

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    Découverts en 1924 par le paléontologuepaléontologue Henry Fairfield Osborn, les oviraptors étaient des petits dinosaures théropodes de Mongolie qui pesaient quelques dizaines de kilogrammeskilogrammes et pouvaient atteindre deux mètres de long. C'est un cas d'école montrant combien il est difficile de ne pas commettre d'erreurs en interprétant des fossiles d'animaux éteints depuis des millions d'années.

    Des os fossilisés de ce dinosaure avaient été trouvés associés à une ponte d’œufs. Or ces derniers avaient été attribués à des protocératops, petits dinosaures herbivores du Crétacé supérieur, retrouvés en abondance dans la formation géologique de Djadokhta et en particulier dans  la célèbre région des Flaming Cliffs, en Mongolie. Comme les restes d'oviraptors, plus rares que ceux des protocératops à cette époque, montraient une sorte de becbec édenté qui semblait adapté pour briser des coquillescoquilles d'œuf, Osborn en avait déduit que c'était là la nourriture de cet animal. D'où son nom qui, étymologiquement, signifie « voleur d'œufs ».

    Toutefois, des études ultérieures ont montré que les os de la mâchoire des oviraptors, en tout cas pour certaines espècesespèces, ne sont pas adaptés à ce comportement. Surtout, la découverte d'un autre membre de la famille des oviraptoridés, appelé Citipati osmolskae, toujours en Mongolie, a montré que cette interprétation était probablement fausse. Des œufs très similaires à ceux retrouvés avec les premiers exemplaires d'oviraptors étaient clairement associés à des squelettes de Citipati morts en train de couver.

    Des œufs d'oviraptors au-dessus d'une sableuse utilisée pour préparer les fossiles en les décapant avec une poussière légèrement abrasive propulsée par de l'air comprimé. © Laurent Sacco

    Des œufs d'oviraptors au-dessus d'une sableuse utilisée pour préparer les fossiles en les décapant avec une poussière légèrement abrasive propulsée par de l'air comprimé. © Laurent Sacco

    Des œufs d'oviraptors couvés entre 35 et 40 °C

    Heureusement, les techniques de paléontologiepaléontologie ont fait des progrès depuis les temps héroïques d'Osborn. Les rayons Xrayons X permettent par exemple d'étudier les archéoptéryx et il faut compter également avec la puissante géochimie isotopique, comme vient de le montrer un article publié dans la revue Palaeontology. Une équipe de chercheurs francochinoise, menée par Romain AmiotRomain Amiot, du Laboratoire de géologiegéologie de Lyon, TerreTerre, planètes et environnement (CNRS/ENS de Lyon/Université Claude BernardClaude Bernard Lyon 1), a utilisé les abondances d'un isotopeisotope de l'oxygène (18O) pour démontrer que des oviraptorosaures couvaient bien leurs œufs.

    Les proportions des isotopes de l'oxygène présents dans les fossiles sont bavardes quand on sait les faire parler. Dans les os de dinosaures, ce cocktail permet de mieux connaître leur température interne et d'avancer sur la question de savoir s'il s'agissait ou non d'animaux à sang chaud. Ces isotopes ont aussi des choses à dire sur les œufs.

    Les paléontologues ont entrepris de déterminer la composition isotopique de sept œufs fossilisés provenant du sud de la Chine, vieux de 70 millions d'années, mais aussi, puisqu'ils contenaient des fossiles d'embryonsembryons, de leurs os. De nouveau, on peut déduire des abondances d'isotopes de 18O la température à laquelle s'est déroulée la croissance des os. Les chercheurs ont montré que les embryons s'étaient développés à une température comprise entre 35 et 40 °C.

    C'est typiquement ce qui correspond à une couvaison, comme chez les poules où la température est maintenue vers 37,5 °C. Toutefois, pour des dinosaures de grandes tailles qui eux aussi pondaient des œufs, le débat reste ouvert, car on les voit mal résister au poids de parents pouvant atteindre plusieurs tonnes. Il est donc vraisemblable que ces géants devaient recouvrir leurs œufs de végétation dont la décomposition devait maintenir relativement constante une certaine température, comme le font les crocodilescrocodiles.


    Des dinosaures très papa-poule

    Article de Jean Etienne publié le 23/12/2008

    Iconographie et cinéma nous ont habitués à des dinosaures effrayants et agressifs. Même lorsqu'il s'agit de les doux herbivores, allez savoir pourquoi... La réalité pourrait être tout autre, avec une certaine propension à protéger les petits au nid, comme la plupart des oiseaux de notre époque.

    En 1993 déjà, un fossile dinosaure de l'espèce Oviraptor, qui vivait vers la fin du Crétacé, avait été retrouvé dans le désertdésert de Gobi. Sa position ne prêtait à aucune équivoque : il protégeait bien une couvéecouvée d'œufs. Ce qui, soit dit en passant, rétablit une certaine justice puisque le nom de cet animal, qui signifie textuellement voleur d'œufs provient de ce que les paléontologues, en ayant découvert plusieurs spécimens à proximité d'œufs, pensaient qu'ils les avaient volés pour s'en nourrir...

    Oviraptor. Ce dinosaure, comme tous les oviraptorosauriens, possédait des plumes et était vraisemblablement omnivore. Plusieurs auteurs affirment qu’ils étaient plus proches des oiseaux que l’archéoptéryx, mais ils ont tous disparu à la fin du Crétacé. Crédit : LeCire (Commons)

    Oviraptor. Ce dinosaure, comme tous les oviraptorosauriens, possédait des plumes et était vraisemblablement omnivore. Plusieurs auteurs affirment qu’ils étaient plus proches des oiseaux que l’archéoptéryx, mais ils ont tous disparu à la fin du Crétacé. Crédit : LeCire (Commons)

    Une hypothèse à vérifier

    David Varricchio, paléontologue à l'université du Montana, a comparé dans le détail trois espèces de dinosaures, Oviraptor, Citipati et Troodon, avec les oiseaux et crocodiles modernes, et publié ses conclusions dans la revue Science. Chacune d'entre elles comprend des représentants dont les fossiles ont été retrouvés sur des nids garnis d'œufs en grande quantité, parfois une trentaine. Varricchio et ses collègues se sont demandés s'ils pourraient établir une relation entre la taille de l'animal, donc son sexe, et l'importance de la couvée.

    Une étude statistique portant sur 433 espèces d'oiseaux et de crocodiles vivants (Avian Paternal Care Had Dinosaur Origin) a déterminé que pour une massemasse corporelle donnée, les espèces pour lesquelles les mâles ont le mieux pris soin du nid avaient eu la plus grande couvée. Celles où la mère joue un rôle prépondérant viennent ensuite, tandis que les progénitures gâtées à la fois par papa et maman forment les couvées les moins nombreuses par nid.

    Le biologiste Gregory Erickson, de l'Université de Floride, ajoute un nouvel argument à la théorie en démontrant que parmi les sept fossiles découverts à ce jour sur un nid, aucun ne présentait de signes de changement habituellement liés à la ponte, tels que des modifications de tissu médullairemédullaire. Il ne s'agit pas là de la preuve absolue que seuls les mâles couvaient, mais d'un indice en faveur de cette hypothèse.

    Richard Prum, ornithologiste à l'Université Yale, affirme pour sa part qu'il n'avait jamais, auparavant, soulevé pareille hypothèse. Mais il reconnaît que le nombre croissant de découvertes de traits de caractère communs entre dinosaures et oiseaux, tels des plumes, rend cette conclusion raisonnable. Et de soulever une autre question : les dinosaures étaient-ils polygames ?