Les programmes de conservation tiennent compte de la diversité des écosystèmes et des espèces. Mais ils oublient la diversité génétique. C’est une erreur ! Ce fait important vient d’être souligné par un consortium international de laboratoires, dans le cadre du projet IntraBioDiv, qui a passé en revue la flore alpine vivant à plus de 1.500 m d’altitude. Quelques explications s’imposent.

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    La dryade à huit pétales, Dryas octopetala, vit entre 1.100 et 2.500 m d'altitude dans les Alpes, mais aussi dans les Pyrénées, le Jura et les Apennins. Elle apprécie les terrains calcaires et l'exposition au soleil. Le nombre de ces plantes n'est pas lié à leur diversité génétique, comme pour toutes les autres espèces. © Serge Aubert, Laboratoire d'écologie alpine (CNRS/Université Joseph Fourier Grenoble)

    La dryade à huit pétales, Dryas octopetala, vit entre 1.100 et 2.500 m d'altitude dans les Alpes, mais aussi dans les Pyrénées, le Jura et les Apennins. Elle apprécie les terrains calcaires et l'exposition au soleil. Le nombre de ces plantes n'est pas lié à leur diversité génétique, comme pour toutes les autres espèces. © Serge Aubert, Laboratoire d'écologie alpine (CNRS/Université Joseph Fourier Grenoble)

    Depuis la conférence de Rio en 1992, il est admis que la biodiversité comprend trois niveaux emboîtés : la diversité des écosystèmes, la diversité des espèces composant l'écosystème et la diversité génétique à l'intérieur de chaque espèce. Cette diversité génétiquegénétique, lorsqu'elle est grande, est un atout pour une espèce car elle lui permet de s'adapter plus facilement, par le biais de l'évolution, aux modifications de son environnement, parmi lesquelles celles induites par le changement climatiquechangement climatique.

    Lors de la conception de parcs ou de réserves naturelles, seuls les niveaux « écosystème » et « espèce » sont pris en compte. La diversité génétique est ignorée car elle est difficile à évaluer et était supposée varier comme la richesse en espèces. Autrement dit, l'idée dominante était que plus il y avait d'espèces dans un milieu, plus leur diversité génétique était grande.

    Dans le cadre du projet européen IntraBioDiv, un consortium international composé de 15 laboratoires et coordonné par le Laboratoire d'écologie alpine (Leca, université Joseph FourierJoseph Fourier Grenoble et université de Savoie) a testé pour les plantes d'altitude (vivant au-dessus de 1.500 m), l'hypothèse de covariation entre la richesse en espèces et la diversité génétique. Ces deux niveaux de biodiversité ont été comparés en traçant des cartes de leur répartition sur l'ensemble du massif alpin et du massif des Carpates.

    Comparaison de la richesse en espèces et de la diversité génétique sur l'ensemble du massif alpin. Ces paramètres sont élevés en violet et faibles en jaune. © Pierre Taberlet, Laboratoire d'écologie alpine (CNRS/Université Joseph Fourier Grenoble/Université de Savoie)

    Comparaison de la richesse en espèces et de la diversité génétique sur l'ensemble du massif alpin. Ces paramètres sont élevés en violet et faibles en jaune. © Pierre Taberlet, Laboratoire d'écologie alpine (CNRS/Université Joseph Fourier Grenoble/Université de Savoie)

    La diversité génétique et celle des espèces sont indépendantes

    Pour les réaliser, les chercheurs ont divisé ces régions montagneuses en secteurs d'environ 25 km de côté. Puis, ils ont compté, lors de campagnes menées sur le terrain, le nombre d'espèces de plantes d'altitude représentées dans chacune de ces 561 zones d'études. Avant de procéder, en laboratoire, à l'analyse génétique de plus de 14.000 spécimens récoltés sur le terrain.

    Le résultat marquant, publié dans la revue Ecology letters, est que la richesse en espèces et la diversité génétique varient indépendamment l'une de l'autre, aussi bien dans les Alpes que dans les Carpates. Ainsi dans les Alpes, c'est la région située au sud-ouest, au niveau de la frontière entre la France et l'Italie, qui est la plus riche en espèces, alors que la plus grande diversité génétique se situe soit dans les Alpes centrales en Suisse, soit au nord-est, en Autriche.

    La diversité génétique est pour l'instant ignorée dans la conception de zones protégées, malgré son importance pour le futur des espèces. Il serait souhaitable qu'elle soit prise en compte dans l'établissement des stratégies de conservation, au même titre que la diversité des écosystèmes et des espèces. La révolution technologique que nous connaissons actuellement pour le séquençage de l'ADN devrait permettre des évaluations à grande échelle de cette biodiversité à l'intérieur des espèces, et conduire à une meilleure applicationapplication de la convention sur la diversité biologique, adoptée lors du sommet de la Terresommet de la Terre à Rio en 1992.