Le trafic maritime mondial transporte chaque année des milliers d’espèces animales ou végétales potentiellement invasives. Un modèle global permet désormais d’évaluer les risques qu’elles représentent, pour la biodiversité ou l’économie d'une région d’accueil, en tous points du globe. Quatre zones particulièrement propices à l’implantation de nouveaux arrivants ont été identifiées.

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    Le transport de marchandises par voie maritime a fortement augmenté depuis les années 1970, notamment grâce au développement des cargos porte-conteneurs. En 2005, ils ont à eux seuls assuré 116 millions de voyages dans le monde. Or, ces navires, mais aussi les pétroliers, gaziers ou autres, sont régulièrement obligés de ballaster pour optimiser leur navigation, par exemple pour corriger leur gîte ou maintenir intégralement leurs hélices sous la ligne de flottaison.

    Les 45.000 navires de commerce ayant vogué sur les mers et océans du globe en 2004 ont ainsi transporté 10 milliards de m3 d'eau de mer, entre deux ports parfois distants de plusieurs milliers de kilomètres. Le problème, c'est que ce volumevolume d'eau contenait également des espèces animales ou végétales potentiellement invasives, c'est-à-dire à même de s'installer dans un nouvel écosystème au risque de causer des nuisances environnementales ou économiques parfois graves.

    Grâce à trois chercheurs menés par Hanno Seebens (université Carl von Ossietzky, Allemagne), nous disposons maintenant d'un nouveau modèle global qui retrace les routes maritimes suivies par ces espèces, et qui permet notamment d'étudier les risques d'invasion sous de multiples angles. Il vient d'être présenté dans la revue Ecology Letters, et pourrait se révéler précieux pour organiser des plans d'action visant à freiner la propagation d'espèces comme la moule zébrée (Dreissena polymorpha) ou le cténophorecténophore nord-américain mnémiopsis (Mnemiopsis leidyi). 

    Les risques de bio-invasion liés au trafic maritime mondial. Plus les lignes reliant deux ports sont claires et épaisses, plus les risques sont importants. © Université de Bristol

    Les risques de bio-invasion liés au trafic maritime mondial. Plus les lignes reliant deux ports sont claires et épaisses, plus les risques sont importants. © Université de Bristol

    Un risque d'invasion lié au nombre de navires

    Pour réaliser leur modèle, les chercheurs ont décrypté les informations disponibles pour plus de trois millions de voyages réalisés en 2007 et 2008. Leurs objectifs sont, entre autres, de mieux caractériser les routes maritimes empruntées ainsi que les interconnexions qui existent entre les principaux ports de commerce dans le monde. Les évaluations régionales de risque d’invasion tiennent également compte de la taille des navires (et donc du volume total de leurs ballasts), des températures rencontrées durant leurs trajets, ou encore de la biogéographiebiogéographie des espèces incriminées.

    Globalement, une espèce véhiculée par un navire a peu de chances de s'installer dans un nouvel écosystème. Cependant, l'augmentation croissante du trafic maritime mondial et de la fréquentation de certains ports modifie la donne, en procurant aux nouveaux arrivants une plus grande probabilité d’installation. Quatre zones particulièrement sensibles aux invasions ont été identifiées : les ports de Singapour et de Hong Kong, ainsi que les canaux de Suez et de Panama.

    Des eaux de ballasts pas très « cosy » pour les espèces invasives

    Les ports situés dans des eaux plus froides, par exemple en mer du Nord, sont moins à risque, sauf si le navire en approche est parti d'une région qui possède des températures comparables, dans ce cas, la côte Est des États-Unis. Enfin, plus les voyages sont longs, et moins une espèce a des chances de survivre au trajet. En effet, les eaux de ballast ne sont pas très « cosy » (confortables) selon Michael Gastner de l'université de Bristol (Royaume-Uni).

    Certes, il ne s'agit une fois encore que d'un modèle, qui fonctionne en théorie. Cependant, les chercheurs ont pu l'ajuster grâce aux nombreuses données récoltées depuis des années sur le terrain. Leur travail souligne un dernier point important, mais sans réelle surprise : agir directement sur les eaux de ballast serait l'un des meilleurs moyens pour réduire les invasions (plutôt que de s'attaquer à celles-ci lorsqu'elles sont déjà en cours). Mais comment faire lorsque des contraintes économiques poussent les armateurs à réduire au maximum le temps passé par navire dans un port ?