Transformer en énergie la différence de salinité entre eau douce et eau de mer : l’idée peut étonner. Mais « ce n’est pas une lubie de chercheur » comme nous l’explique Gérard Pourcelly, scientifique au CNRS et directeur de l’Institut européen des membranes.

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    Le projet de centrale de la société Statkraft. Crédit : Statkraft

    Le projet de centrale de la société Statkraft. Crédit : Statkraft

    On appelle cela l'osmoseosmose. Une différence de salinitésalinité peut forcer de l'eau à traverser une membrane, provoquant d'un côté une élévation de la surface, que l'on peut utiliser pour tirer un peu d'énergieénergie. Simple ? Oui. Utopique ? Pas du tout puisqu'un prototype existe déjà...

    L'interview à écouter

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    Futura-Sciences : Gérard Pourcelly, vous êtes directeur de l'Institut européen des Membranes, un institut affilié au CNRS. Dans une usine du sud de la Norvège, Statkraft projette de construire une centrale osmotique capable de produire de l'électricité. Il s'agit d'un prototype, mais qui, s'il est validé, pourrait permettre la mise en place d'une centrale à plus grande échelle capable de produire suffisamment d'électricité pour alimenter environ 15.000 foyers.

    Tout d’abord, qu’est-ce que l’énergie osmotique ?

    Gérard Pourcelly : L'énergie osmotique, c'est simple. Vous prenez une membrane, vous mettez d'un côté de l'eau douce, de l'autre côté de l'eau de mer. L'eau douce va traverser la membrane, augmenter le volumevolume de l'eau de mer. C'est ce principe d'augmentation de flux d'eau qui est utilisé pour ensuite, mécaniquement, récupérer de l'énergie qui pourra alimenter une turbine puis des foyers. Cette eau est gratuite, elle provient du passage de l'eau douce vers l'eau salée à travers la membrane, ce qui est un phénomène tout à fait naturel.

    FS : Ce procédé permet d’éviter tout dégagement de CO2…

    Gérard Pourcelly : Absolument. Aucun dégagement de CO2 puisqu'on travaille directement à partir d'eau de mer et d'eau douce.

    FS : En quoi ce prototype constitue-t-il une révolution dans la production ?

    Gérard Pourcelly : Je ne dirais pas une révolution. C'est une contribution à l'utilisation et à l'exploitation des énergies renouvelables. Mais c'est la première fois effectivement qu'une telle idée est mise en pratique. La première fois qu'un projet européen permet de valider la récupération d'énergie électrique à partir de ce différentiel de concentration d'eau de mer.

    FS : Quels sont les perspective de développement de ce type de centrale ?

    Gérard Pourcelly : Pour le moment, on est à l'état de prototype. Il y a quand même des obstacles technologiques. Cela nécessite de grandes surfaces de membranes. Les calculs montrent, si on prend le projet norvégien, qu'on peut récupérer de l'ordre de 3 wattswatts par m2. Si on prend un appartement qui consomme 10 kilowatts, et si on imagine une récupération jusqu'à 4 watts par m2, il faudra 2.500 m2 de membranes, soit le tiers d'un terrain de football. Mais les membranes sont spiralées et prendraient moins de place.

    Il y a peu d'énergie récupérée par mètre carré mais la source d'approvisionnement est pratiquement gratuite. C'est pour cela que c'est relativement révolutionnaire. Et par rapport au solaire et à l'éolien, c'est une production constante. Alors qu'avec l'éolien, il faut du vent et avec le solaire, il faut du soleilsoleil.

    FS : Quelles sont les zones géographiques adaptées ?

    Gérard Pourcelly : Toutes les zones où il y a de grands fleuves qui se jettent dans la mer, des fleuves pas trop pollués. La Scandinavie s'y prête. On peut penser au plus gros débitdébit, l'Amazone. On peut penser à l'Italie, la France.

    FS : A quelle échéance pourra-t-on voir se développer ce type de centrale ?

    Gérard Pourcelly : C'est une question difficile. Actuellement, on en est au stade des prototypes. Je pense que l'augmentation du prix des énergies fossilesénergies fossiles accélérera la mise en place de ces projets. Disons qu'on peut envisager à échéance de cinq ans à peu près l'installation de ce type de projet, mais à une échelle de l'ordre de quelques centaines de kilowatts, au gros maximum un mégawatt.

    FS : Selon les promoteurs de ce prototype, ce type de centrale pourrait produire jusqu'à la moitié de la consommation d'énergie actuelle en Europe. Qu'en pensez-vous ?

    Gérard Pourcelly : Quand on est promoteur, on a toujours tendance à voir son projet de façon très optimiste, et c'est très bien. Je serais un peu plus modéré. Je dirais que toute contribution à la fourniture d'énergie renouvelable, c'est un plus.

    C'est une source, ce n'est pas une lubie de chercheur. C'est quelque chose qui doit être développé au même titre que l'éolien ou le photovoltaïque. Une fois installé, c'est un procédé absolument non polluant qui pourra être développé avec la mise au point de membranes performantes, qui déjà existent pratiquement sur le marché. Je suis optimiste sur tout nouveau procédé qui permet à partir d'une énergie gratuite de fournir de l'électricité de façon non polluante.