Dans le golfe du Lion, en Méditerranée, les anchois et les sardines vivent moins longtemps et sont plus maigres. En dix ans, la biomasse a été divisée par trois, au grand dam des pêcheurs. La raison ? Des changements dans le petit peuple du plancton. La cause profonde (pollution, réchauffement ou autre) reste mystérieuse, nous explique Claire Saraux, biologiste à l’Ifremer et en charge de cette étude aux résultats étonnants.

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    Qu'arrive-t-il aux anchois et aux sardines de Méditerranée, en particulier dans le golfe du LionLion ? C'est la question que les pêcheurs ont posée devant la baisse drastique de leurs captures au fil des ans. L'enquête a été confiée aux fins limiers du Marbec (Marine Biodiversity, Exploitation and Conservation), une unité de recherche réunissant l'IRD, l'Ifremer, l'université de Montpellier et le CNRS.

    Durant trois ans, durant des campagnes d'un mois, les populations de poissons ont été suivies en mer, au sonarsonar, et sondées par des chalutages, pour suivre les fluctuations des stocks. Les résultats de cette étude baptisée EcoPelGol (pour écologie des petits poissons pélagiquespélagiques du golfe du Lion), qui vient de se terminer, ont de quoi inquiéter. « À l'origine, les pêcheries ont constaté une baisse des captures, en tonnes, raconte Claire Saraux, chercheuse à l'Ifremer de Sète et coordinatrice du projet EcoPelGol. Il y avait pourtant, en nombre d'individus, autant de poissons qu'avant, voire plus. Mais deux phénomènes s'additionnent : ils sont plus jeunes, donc plus petits [car les poissons grossissent toute leur vie, NDLRNDLR], et ils sont moins gros. » L'effet n'est pas mince : la comparaison avec des études précédentes a montré que la biomasse en Méditerranée a été divisée par trois en dix ans. « Pour les sardines, on est passé de 200.000 tonnes à 67.000 tonnes, et de 100.000 à 30.000 pour les anchois. »

    Ailleurs dans le monde, les populations de ces deux espèces varient d'une année sur l'autre, notamment en Afrique du Sud et au Pérou. Ces fluctuations sont connues et dues, rappelle la chercheuse, à la diminution du « recrutement », c'est-à-dire, au sens que les écologistes donnent à ce mot, à l'arrivée de nouveaux individus dans les populations (par les naissances essentiellement). « Mais ici, ce n'est pas le cas. »

    De 2009 à 2013, l'expédition Tara Oceans a collecté 35.000 échantillons autour du Globe pour étudier le plancton. Cet ensemble d’organismes, végétaux et animaux, dérivant au gré des courants, est la base de la chaîne alimentaire des mers. Leurs tailles sont très variables et de nombreux animaux y trouvent les proies qui leur conviennent. Ces écosystèmes, pourtant, ne sont qu’imparfaitement connus. © G. Bounaud, C. Sardet, SoixanteSeize, Tara Expeditions

    De 2009 à 2013, l'expédition Tara Oceans a collecté 35.000 échantillons autour du Globe pour étudier le plancton. Cet ensemble d’organismes, végétaux et animaux, dérivant au gré des courants, est la base de la chaîne alimentaire des mers. Leurs tailles sont très variables et de nombreux animaux y trouvent les proies qui leur conviennent. Ces écosystèmes, pourtant, ne sont qu’imparfaitement connus. © G. Bounaud, C. Sardet, SoixanteSeize, Tara Expeditions

    Le plancton serait moins nourrissant

    Comment expliquer ces deux effets : moins de vieux poissons et des poids individuels plus faibles, même à taille égale ? « Nous avons envisagé toutes les causes possibles : la surpêche, la prédation, des maladies et l'alimentation. » Les deux premières ont été exclues pour les même raisons : pêcheurs et thons rougesthons rouges (les principaux prédateurs) ne prélèvent que de faibles quantités par rapport aux stocks et ni les uns ni les autres ne choisissent préférentiellement les plus gros poissons. Les biologistes ont donc traqué les parasitesparasites.

    « Nous avons cherché tout ce qui est possible : virus, bactériesbactéries et parasites. Et nous en avons trouvés mais on ne sait pas si cela peut expliquer la mortalité des poissons âgés ou leur maigreur. En fait, cela nous semble peu probable. » Et de souligner que lorsqu'on cherche des parasites, on en trouve toujours... L'équipe laisse cependant un point d'interrogation sur une coccidie (un organisme unicellulaire), qui reste à étudier plus finement. Le principal suspect est l'alimentation.

    Car les poissons, on l'a dit, sont plus maigres. Quel que soit l'âge, les réserves de graisse sont plus faibles. Les chercheurs ont braqué leurs projecteursprojecteurs sur le plancton et, plus précisément, sur le met préféré des anchois et des sardines : les copépodes. Ces minuscules crustacéscrustacés, cyclopes, sans branchiesbranchies et nageant à l'aide de leur paire d'antennes, semblent modestes. Pourtant, présents dans toutes les mers du Globe, ainsi qu'en eau douceeau douce, ils représentent souvent l'essentiel du planctonplancton, en massemasse ou en nombre d'individus, et il en existe un nombre d'espèces colossal (au moins 10.000).

    La diversité des copépodes, petits crustacés omniprésents parmi le plancton des océans et des eaux douces, a toujours fasciné les biologistes, comme le montre cette planche de Ernst Haeckel, dessinée en 1904. © Domaine public

    La diversité des copépodes, petits crustacés omniprésents parmi le plancton des océans et des eaux douces, a toujours fasciné les biologistes, comme le montre cette planche de Ernst Haeckel, dessinée en 1904. © Domaine public

    Qu'arrive-t-il aux copépodes ?

    C'est là que s'est produit le changement, selon l'étude EcoPelGol. « Les populations de copépodes ont changé depuis les années 1990. Aujourd'hui, les espèces dominantes sont plus petites ». Anchois et sardines ont donc moins à manger, et disposent de moins d'énergieénergie pour leurs deux grandes occupations : grossir et se reproduire. « Les animaux ont deux stratégies dans ce cas : soit ils remettent la reproduction à plus tard, soit, à l'inverse, ils la privilégient, quitte à moins grossir et à mourir plus tôt. En général, les espèces à vie courte adoptent la seconde. C'est le cas des sardines et des anchois. D'ailleurs, on voit qu'ils se reproduisent plus jeunes qu'avant. »

    Et pourquoi les copépodes sont-ils plus petits ? L'étude ne va pas jusque-là pour l'instant. Il faudra observer plus finement le plancton de Méditerranée et corréler ces résultats avec d'autres campagnes. Toutes les hypothèses sont sur la table, du réchauffement de l’eau jusqu'à la pollution par les eaux du Rhône. « Notez bien, tempère Claire Saraux, que cette modification du plancton désavantage les anchois et les sardines, mais qu'elle peut avantager d'autres espèces, qui préfèrent les copépodes plus petits. » Reste que l'on aimerait savoir ce qui arrive au plancton méditerranéen, à la base de toute la chaîne trophique.