En parvenant à contrôler la reproduction du thon rouge d'Atlantique, des biologistes travaillant pour deux consortiums européens, Selfdott et Allotuna, ouvrent la voie à l'aquaculture de ce grand poisson, apprécié des consommateurs du monde entier mais menacé d'extinction.

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    Le thon rouge, une espèce – un peu trop – appréciée par l'homme. © ZephyrBunny / Flickr - Licence Creative Common (by-nc-sa 2.0)

    Le thon rouge, une espèce – un peu trop – appréciée par l'homme. © ZephyrBunny / Flickr - Licence Creative Common (by-nc-sa 2.0)

    Réussir l'élevage intégral de poissons ou de crustacés d'eau de mer n'a rien de facile, principalement à cause de deux écueils, le contrôle de la reproduction et le nourrissage des larves. Habituées au grand bleu, de nombreuses espèces rechignent à se reproduire à l'intérieur d'un bassin clos et surpeuplé. Lorsque la ponte a eu lieu, l'aquaculteuraquaculteur se trouve face à des milliers, voire des millions, de minuscules bouches à nourrir : les larves. Car rares sont les animaux marins qui naissent sous la même forme que l'adulte.

    La règle est une succession d'organismes passant d'une forme à une autre par une série de métamorphoses. De l'œuf sort une larve dont la forme, la plupart du temps, n'évoque en rien l'animal adulte, ce qui a d'ailleurs trompé maintes fois les zoologisteszoologistes. La taille, de plus, est minuscule, à peine un millimètre, par exemple, pour celle d'un thonthon juste éclos, qui peut atteindre trois cents kilogrammeskilogrammes. Les stades larvaires qui se succèdent ensuite font rapidement grandir l'animal en lui donnant des formes parfois variées, comme c'est particulièrement le cas chez les crustacés. Lorsqu'elles deviennent vraiment proches de la forme finale, on parle de juvéniles.

    Situation aggravante pour l'aquacultureaquaculture, ces multiples stades changent leur régime alimentaire à mesure qu'elles grandissent. Dans les eaux foisonnantes de planctonplancton, végétal et animal, les jeunes animaux marins n'ont jamais de soucis pour croquer des proies dont les tailles leur conviennent idéalement. L'éleveur, lui, doit s'adapter...

    L'ensemble de la technique n'est maîtrisée que pour un petit nombre d'espèces, par exemple sous nos latitudeslatitudes, le barbar et la daurade (ainsi que le saumonsaumon, bien sûr, mais lui commence sa vie en eau douceeau douce, un milieu pauvre, et les alevinsalevins sont bien moins difficiles sur la nourriture).

    Pour le thon, l'élevage est longtemps resté de la science-fiction. La seule méthode pratiquée aujourd'hui consiste à pêcher des juvéniles en mer et à les installer dans des cages flottantes, un procédé assez catastrophique car il fait fondre les stocks de poissons.

    Deux équipes viennent pourtant de réussir, pour le thon rougethon rouge Atlantique (Thunnus thynnus), la première étape, à savoir la reproduction et l'obtention d'œufs, grâce à une coopération européenne, financée par plusieurs programmes de recherche.

    Des larves de thon rouge à peine écloses. Chaque animal est encore relié à un énorme sac vitellin, renfermant quelques réserves alimentaires, qui seront vite assimilées. © IEO/ Fernando de la Gándara (image du communiqué de presse de l'Ifremer)

    Des larves de thon rouge à peine écloses. Chaque animal est encore relié à un énorme sac vitellin, renfermant quelques réserves alimentaires, qui seront vite assimilées. © IEO/ Fernando de la Gándara (image du communiqué de presse de l'Ifremer)

    L'aquaculture du thon rouge, seule alternative à une pêche non durable

    A Carthagène, en Espagne, et à Vibo Marina, en Italie, des biologistes ont provoqué la ponte et la reproduction en les stimulant à l'aide d'un implantimplant, libérant progressivement une hormonehormone, une gonadotropine, famille d'hormones que connaissent tous les vertébrésvertébrés et qui intervient dans la fabrication des spermatozoïdesspermatozoïdes et des ovulesovules.

    Entre fin juin et fin juillet, près de 190 millions d'œufs ont été obtenus. Cette précieuse manne vient d'être distribuée à plusieurs laboratoires méditerranéens, en Espagne, en Italie, en Israël, en Grèce, à Malte, ainsi qu'en France, à la station Ifremer de Palavas-les-flots, au sud de Montpellier. Tous sont partenaires dans deux grands programmes de recherche européens dédiés à l'élevage du thon, Selfdott (concaténation approximative de captured-based to Self-sustained aquaculture and domesticationdomestication of bluefin tuna, Thunnus Thynnus) et Allotuna (Allevamento Tuna, élevage du thon).

    Si un tel effort est consenti, c'est parce que la demande mondiale de thon, et particulièrement de thon rouge, en augmentation inexorable, excède les possibilités d'une pêche durable. Selon l'Ifremer, qui cite la Commission Internationale pour la Conservation des Thonidés de l'Atlantique (CICTA), les prises annuellesannuelles de thon rouge en Atlantique de l'est et en Méditerranée se maintiennent depuis dix ans entre 50.000 et 60.000 tonnes, ce qui serait trois à quatre fois supérieur au potentiel de reproduction des populations de thons actuelles. En d'autres termes, un tel prélèvement ne pourra durer bien longtemps et nous devrons apprendre à nous passer de sushis ou de steaks de thon rouge. La seule alternative est donc l'élevage...

    Les petites larves nées en captivité sont aujourd'hui en train de goûter à la nourriture que leur ont concoctée les biologistes. Réponses dans quelques mois pour savoir si elles ont apprécié le menu.