Un nouvel effet insoupçonné d’El Niño sur la santé des populations du sud-est asiatique vient d’être découvert. Certains pays profiteraient de sa survenue dans le passé pour défricher de plus grandes surfaces grâce au feu. La pollution atmosphérique engendrée aurait provoqué plusieurs milliers de décès. Heureusement, il sera possible d’éviter ce problème à l’avenir.

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    Pour gagner de nouvelles surfaces agricoles ou urbaines, certaines populations n'hésitent pas à mettre le feufeu à leurs zones boisées. Cette technique est certes rapide, mais elle a l'inconvénient de libérer d'importantes quantités de CO2 et de particules fines se maintenant en suspension dans l'atmosphère. Le recours au feu dans le cadre de déforestations peut donc s'avérer dangereux pour notre climat et pour la qualité de l'airair des contrées concernées.

    Cependant, tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. Le sud-est asiatique ne peut pas utiliser le feu durant l'intégralité de l'année à la suite de la survenue saisonnière des moussons. Ces épisodes pluvieux sont entre autres conditionnés par la circulation des courants océaniques du Pacifique dans la zone équatoriale. Or, les mouvementsmouvements des massesmasses d'eau peuvent être affectés par différents paramètres, dont la force des alizées. Sous certaines conditions apparaissant en moyenne tous les 2 à 10 ans, les perturbations océaniques engendrées donnent naissance à un événement dit d'El Niño. Durant ces périodes, de fortes pluies s'abattent sur l'Amérique du Sud. En revanche, des sécheresses touchent l'Asie et l'Australie,  l'utilisation du feu pour défricher sur ces territoires peut donc se poursuivre plus longtemps qu'à l'accoutumée.

    Des travaux menés par Miriam Marlier de la ColumbiaColumbia University, et publiés dans la revue Nature Climate Change, viennent d'établir un lien insoupçonné entre la survenue des épisodes El NiñoEl Niño et une augmentation du nombre de décès au sein de divers pays asiatiques, dont l'Indonésie, la Malaisie, le Vietnam ou la Thaïlande. Heureusement, le problème pourrait être rapidement enrayé.

    En a, densité de population de plusieurs contrées du sud-est asiatique (Indonésie, Malaisie, Vietnam et Thaïlande ; mesures réalisées en 2005). Les valeurs visibles sur l’échelle colorimétrique sont exprimées en habitants par km². En b, schématisation des émissions moyennes de carbone (en g de carbone par m²) observées entre 1997 et 2006 en Asie du Sud-Est. Ce paramètre a été utilisé pour définir avec précision les contrées utilisant le plus le feu pour défricher de nouveaux terrains (en orange). © Marlier <em>et al.</em> 2012, <em>Nature Climate Change</em>

    En a, densité de population de plusieurs contrées du sud-est asiatique (Indonésie, Malaisie, Vietnam et Thaïlande ; mesures réalisées en 2005). Les valeurs visibles sur l’échelle colorimétrique sont exprimées en habitants par km². En b, schématisation des émissions moyennes de carbone (en g de carbone par m²) observées entre 1997 et 2006 en Asie du Sud-Est. Ce paramètre a été utilisé pour définir avec précision les contrées utilisant le plus le feu pour défricher de nouveaux terrains (en orange). © Marlier et al. 2012, Nature Climate Change 

    Déforestation : trop de particules carbonées 

    Des satellites ont été utilisés pour définir les niveaux d'émissionsémissions de particules carbonées (c'est-à-dire de suie) et d'ozone lors des incendies de forêts observés en Asie du Sud-Est (population de 540 millions d'habitants en 2005) entre 1997 et 2006. Pour ce faire, l'équipe de Miriam Marlier a eu recours à des instruments d'imagerie de type MISR (pour Multi-angle Imaging SpectroRadiometer) et Modis (pour Moderate-Resolution Imaging Spectroradiometer). Les données ont été intégrées dans deux modèles de chimiechimie atmosphérique, le NasaNasa Giss-E2-Puccini et le Geos-Chem, afin d'analyser plus en détail la pollution de l'air.

    Durant l'épisode El Niño de 1997, d'importants pics de pollution aux particules fines de moins de 2,5 µm de diamètre ont été recensés, principalement à Bornéo et Sumatra où la déforestation par le feu est fortement utilisée. Certains niveaux ont été supérieurs de 300 % aux recommandations de l'Organisation mondiale de la santéOrganisation mondiale de la santé (OMS ; 50 µg/m3 en moyenne sur 24 heures) durant 200 jours. La pollution à l'ozoneozone a également été conséquente avec une augmentation de la concentration moyenne dans l'air de 25 à 50 parties par milliard (ppb), provoquant un dépassement des limites établies par l'OMS (80 ppb en moyenne sur 8 heures) durant 150 jours. Par comparaison, il y avait 98 % de particules en suspension dans l'air en moins en 2000, une année marquée par un épisode de La Niña (effets inverses d'El Niño).

    Ces deux pollutions atmosphériques peuvent causer l'apparition de maladies respiratoires ou cardiovasculaires aux conséquences tragiques. Les particules fines produites en 1997 auraient ainsi provoqué la mort de 6.800 à 14.300 personnes, aussi bien à la campagne qu'au sein de grandes villes comme Kuala Lumpur et Singapour. Près de 2.300 à 5.900 victimes de l'ozone viendraient en plus s'ajouter à ces chiffres.

    La survenue d'El Niño peut donc avoir d'importants effets sanitaires sur les populations de l'Asie du Sud-Est. Heureusement, il est relativement aisé de remédier à ce problème : il suffirait en effet de ne plus profiter des périodes sèches pour mettre le feu aux forêts.