Si les sociétés humaines sont hiérarchisées depuis 11.000 ans avec les premières communautés agricoles, les chercheurs supposent que le rang social est devenu héréditaire il y a au moins 7.500 ans. C’est ce que laisse penser une analyse des dents de 310 sépultures datant du Néolithique.

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    La maîtrise de l'agriculture est un tournant de l'histoire de l’humanité. L'Homme, ce chasseur-cueilleurchasseur-cueilleur, n'a alors plus besoin de suivre perpétuellement les troupeaux d'herbivores et de partir en quête de plantes comestibles : il les produit autour de chez lui. Cette innovation daterait d'il y a 11.000 ans, d'après les plus anciennes traces trouvées au Proche-Orient.

    Des archéologues pensent qu'à cette époque, déjà, il existait une hiérarchie sociale stratifiée, dans laquelle chacun ne jouait pas le même rôle. En effet, certains squelettes sont accompagnés dans leur tombeau d'outils de pierre ou de poteries, attestant d'un statut particulier duquel ils devaient jouir. Si ces êtres humains étaient d'un rang social élevé, aucun élément n'atteste qu'ils en avaient hérité de leurs parents ou qu'ils l'ont transmis à leurs descendants.

    Mais les choses ont fini par changer. Les fermiers sont remontés en direction de l'Europe il y a 8.500 ans. C'est le Néolithique, l'âge pastoral. Il est intéressant de constater que différentes régions du monde arborent des cultures diverses. L'une d'entre elles, la civilisation rubanée (abrégée LBK depuis son nom allemand Linienbandkeramische Kultur), se caractérise par des poteries aux motifs en ruban. Elle peuple une grande partie de l'Europe, de la Hongrie jusqu'à Orléans entre 5.400 av. J.-C. et 4.900 av. J.-C.

    L’émail des dents fait foi

    Le peuple LBK a été très étudié par les archéologues, qui disposent d'éléments attestant là encore d'une stratification sociale. Certains d'entre eux étaient enterrés avec des outils, des herminettes, servant à couper le bois qui allait constituer leurs maisons. Comme précédemment, le traitement particulier réservé à ces dépouilles atteste, selon les spécialistes, du rang élevé qu'ils occupaient dans leur société.

    L'émail (<em>Enamel</em>) des dents constitue l'un des tissus les plus externes et les plus solides. C'est celui qui a été étudié par les scientifiques. Le cément (<em>Cementum</em>) constitue la partie qui recouvre la dentine dans la gencive. © Dozenist, Wikipédia, cc by sa 3.0

    L'émail (Enamel) des dents constitue l'un des tissus les plus externes et les plus solides. C'est celui qui a été étudié par les scientifiques. Le cément (Cementum) constitue la partie qui recouvre la dentine dans la gencive. © Dozenist, Wikipédia, cc by sa 3.0

    Des chercheurs de l'université de Bristol, au Royaume-Uni, ont souhaité mieux comprendre l'origine de ces différences sociales, en mesurant un élément chimiqueélément chimique, le strontiumstrontium (Sr), dans l'émailémail des dents de squelettes de l'époque. L'atomeatome intègre les tissus lorsqu'il est avalé. Il en existe deux formes isotopiques, de poids 86 et 87 et, dans ce travail publié dans les Pnas, les auteurs se sont intéressés au ratio 87SR/86Sr dans l'émail des dents. En effet, ce rapport reflète le type de sol sur lequel l'individu a grandi.

    Des études précédentes ont montré que les fermiers européens préféraient cultiver sur un sol de sédiments meubles, appelé loessloess, car ces terrains se révélaient plus fertiles. Le ratio 87SR/86Sr des personnes issues de ces régions est plus faible que celui d'individus provenant de formations géologiques moins fertiles, comme les collines granitiques. Les paysages étant très variables en Europe, même à quelques kilomètres près, on peut donc avoir dans un espace restreint des prés plus ou moins fertiles.

    Les individus importants issus des terres les plus fertiles

    Dans cette recherche, 311 squelettes retrouvés dans sept caveaux LBK différents (situés en Autriche, en France, en République tchèque et en Slovaquie) ont dû donner leurs dents pour la science. Parmi ces sépulturessépultures, 62 étaient accompagnées d'herminette. Les ratios 87SR/86Sr sont formels : 61 d'entre eux étaient nés sur des terrains en loess, un seul ne présentait pas le rapport typique.

    Le loess, visible ici, est une roche sédimentaire détritique et donc riche en matière organique. Elle est fertile et était appréciée des agriculteurs du Néolithique. Ceux qui pouvaient cultiver sur ces terrains jouissaient d'un statut social particulier. © Wilson44691, Wikipédia, DP

    Le loess, visible ici, est une roche sédimentaire détritique et donc riche en matière organique. Elle est fertile et était appréciée des agriculteurs du Néolithique. Ceux qui pouvaient cultiver sur ces terrains jouissaient d'un statut social particulier. © Wilson44691, Wikipédia, DP

    Ce ratio était d'ailleurs très similaire entre ces individus de rang élevé, alors qu'il était bien plus variable dans les 249 restants. Pour les auteurs, l'analyse est simple : ceux qui étaient enterrés avec leurs outils avaient grandi dans les terresterres les plus fertiles et étaient devenus des personnages importants. Les autres provenaient de territoires diverses, moins productifs.

    La même analyse menée chez les femmes révèle une variabilité dans le rapport 87SR/86Sr plus importante que dans la gent masculine. Cela suggère qu'un grand nombre de femmes sont nées dans des régions moins fertiles.

    Le statut social en héritage

    De ces travaux, les scientifiques en tirent deux conclusions principales. D'une part, les hommes avaient davantage d'accès aux terres fertiles que les femmes, parce qu'en tant que fils de fermiers, ils ont probablement hérité des champs de leur père. D'autre part, le peuple LBK devait être une société patrilocale, dans laquelle les hommes ne quittent jamais le domicile paternel, mais leurs épouses viennent les y rejoindre.

    D'autres études, génétiquesgénétiques celles-là, ont montré que ce fonctionnement était le même pour de nombreux agriculteurs européens de l'époque. Ces travaux concourent à renforcer l'idée de transmission des terres et donc du statut social au fil des générations. Ce phénomène daterait d'au moins 7.500 ans. Et se serait même renforcé avec le temps.