La découverte d’une nouvelle espèce d’hominine, Australopithecus deyiremeda illustre à nouveau un phénomène que l’on a mis en évidence depuis quelques décennies avec l’arbre généalogique de l’humanité. Plusieurs espèces parmi les hominines ont coexisté et il est parfois difficile de préciser laquelle était l’ancêtre d’une autre. Cette dernière pourrait bien détrôner Lucy au titre de représentant de l’espèce ayant conduit directement au genre Homo.

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    Depuis quelques mois, les passionnés par les origines de l’Homme sont à la fête avec des annonces spectaculaires d'équipes d'archéologues et de paléoanthropologues. En mars 2015, on apprenait qu'il fallait repousser les origines du genre Homo d'au moins 400.000 ans suite à l'annonce d'une découverte remontant à janvier 2013. Le paléoanthropologue Éthiopien Chalachew Seyoum était tombé à l'époque sur un fragment de mâchoire inférieure fossilisée portant des dents alors qu'il participait à la campagne de fouilles de l'Arizona State University (ASU) explorent la région de Ledi-Geraru, proche d'Hadar en Éthiopie. Son étude et sa datation ont montré qu'elle appartenait à un hominine du genre Homo et qui vivait il y a entre 2,75 à 2,80 millions d'années. Il semble qu'il ne s'agissait pas d'un Homo habilisHomo habilis

    Plus récemment, l'archéologue française du CNRS, Sonia Harmand, qui codirige le West Turkana Archaeological Project (WTAP) a annoncé avec ses collègues qu'avaient été découverts en 2011 les plus vieux outils connus à ce jour, au Kenya cette fois-ci, non loin du lac Turkana. Âgés d'environ 3,3 millions d'années, il ne semble pas possible de les attribuer à des membres du genre Homo mais il était tentant d'y voir la trace d'une industrie lithique propre à Australopithecus afarensis, un hominine rendu célèbre par la découverte de LucyLucy dont l'espèce vivait précisément dans la région, il y a entre 3,8 et 2,9 millions d'années.


    Une vidéo expliquant la découverte de la nouvelle espèce d’australopithèque. Pour obtenir une traduction en français parfois assez fidèle, cliquez sur le rectangle avec deux barres horizontales en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître, si ce n’est pas déjà le cas. En cliquant ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, vous devriez voir l’expression « Traduire les sous-titres ». Cliquez pour faire apparaître le menu du choix de la langue, choisissez « français », puis cliquez sur « OK » © NPG Press, YouTube

    Trois ancêtres potentiels directs pour Homo

    Mais un autre préhumain potentiel pouvait aussi faire l'affaire, Kenyanthropus platyops. Ses restes fossilisés, plus précisément un crânecrâne, ont en effet été déterrés en 1999 non loin du site de Lomekwi 3 où les membres du WTAP ont fait leur extraordinaire découverte. Il existe cependant des polémiques quant à l'interprétation de ces restes âgés d'environ 3,5 à 3,2 millions d'années. Pour certains chercheurs, il pourrait s'agir simplement d'un spécimen d'Australopithecus afarensis dont le crâne est déformé. Mais pour d'autres ce crâne évoque plutôt celui d'Homo rudolfensis qui avec Homo habilis fait partie des tout premiers représentants du genre Homo, Kenyanthropus platyops est peut-être même un ancêtre direct de celui-ci. Si tel est le cas, il se pourrait bien qu'Australopithecus afarensis ne soit pas vraiment à l'origine de l'espèce humaine.

    Or voilà que d'autres paléoanthropologues viennent encore de compliquer l'arbre généalogique en ce qui concerne les ancêtres directes d'Homo dans une publication du journal Nature.

    Une équipe internationale dirigée par Yohannes Haile-Selassie du Muséum d'histoire naturelle de Cleveland annonce en effet qu'a été découvert une autre espèce d'australopithèque qui côtoyait celle de Lucy en Éthiopie, il y a entre 3,5 et 3,3 millions d'années. Elle a été baptisée Australopithecus deyiremeda, deyiremeda signifiant « proche parent » en langue afar, une peuplade vivant en Éthiopie et à Djibouti.

    Les fragments de mâchoires et quelques dents, appartenant à au moins deux individus de cette nouvelle espèce, ont été découverts en 2011, à 35 km de distance seulement du lieu où vers la fin de l'année 1974, une équipe d'une trentaine de chercheurs éthiopiens, américains et français codirigée par Donald Johanson (paléoanthropologie), Maurice Taieb (géologiegéologie) et Yves CoppensYves Coppens (paléontologiepaléontologie) a effectué les fouilles ayant conduit à la découverte de Lucy.

    Le site de Woranso-Mille en Éthiopie est proche d’Hadar comme le montrent ces photos prises depuis l’espace. <em>Australopithecus deyiremeda</em> et <em>Australopithecus afarensis</em> vivant à la même époque ils se croisaient certainement tout en occupant des niches écologiques différentes. Les dents et les mâchoires de <em>deyiremeda</em> semblent adaptées à un régime avec des plantes plus dures à mâcher que dans le cas d’<em>afarensis</em>. © <em>Cleveland Museum of Natural History</em>

    Le site de Woranso-Mille en Éthiopie est proche d’Hadar comme le montrent ces photos prises depuis l’espace. Australopithecus deyiremeda et Australopithecus afarensis vivant à la même époque ils se croisaient certainement tout en occupant des niches écologiques différentes. Les dents et les mâchoires de deyiremeda semblent adaptées à un régime avec des plantes plus dures à mâcher que dans le cas d’afarensis. © Cleveland Museum of Natural History

    Un arbre généalogique complexe pour les hominines

    Haile-Selassie n'hésite pas à affirmer avec ses collègues que : « Cette nouvelle espèce est une autre confirmation que celle de Lucy, Australopithecus afarensis, n'était pas la seule ancêtre potentielle de l'Homme habitant ce qui est maintenant la région de l'Afar en Éthiopie pendant le PliocènePliocène moyen. L'étude des fossilesfossiles trouvés sur le site de Woranso-Mille montre clairement qu'il y avait au moins deux, et peut-être trois espèces de préhumains vivant à la même époque et géographiquement proche les unes des autres. Cette nouvelle espèce trouvée en Éthiopie place le débat en cours sur la diversité des préhumains à un autre niveau » et le chercheur ajoute que « certains de nos collègues vont être sceptiques en ce qui concerne cette nouvelle espèce, ce qui n'est pas inhabituel. Toutefois, je pense qu'il est temps que nous regardions les premières phases de notre évolution avec un esprit ouvert et que nous examinions soigneusement les preuves fossiles à notre disposition plutôt qu'en les rejetant immédiatement quand elles ne se conforment pas à nos préjugés ».