Pendant longtemps, on a pensé que les Hommes modernes avaient enseigné à l’Homme de Néandertal comment fabriquer des outils plus modernes à partir d’os. Mais une étude suggère que notre cousin disparu maîtrisait cette technique avant même de croiser son parent africain. Et si les Néandertaliens avaient appris aux Hommes modernes les avantages à tirer des squelettes ?

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    L'Homme de Néandertal a très longtemps été considéré comme inférieur technologiquement aux Hommes modernes. Une hypothèse remise en question par une étude. © Stefan Scheer, Wikipédia, cc by sa 3.0

    L'Homme de Néandertal a très longtemps été considéré comme inférieur technologiquement aux Hommes modernes. Une hypothèse remise en question par une étude. © Stefan Scheer, Wikipédia, cc by sa 3.0

    Pauvre Néandertal. Depuis sa découverte en 1856, cet Homme est mal aimé, et a d'abord été considéré comme fruste et peu finaud. Les études de ces dernières années ont peu à peu montré qu'il avait fini par maîtriser les techniques modernes de conception d'outils, et qu'il aurait pu disposer d'un langage complexe. Oui, mais, hasard ou non, ces progrès technologiques coïncident avec l'arrivée d'Hommes anatomiquement plus modernes, venus d'Afrique vers l'Europe et l'Asie voilà un peu plus de 40.000 ans, alors que les Néandertaliens étaient installés dans la région depuis 200.000 ans. Les nouveaux venus auraient-ils enseigné l'art de la fabrication d’outils aux Hommes de NéandertalNéandertal ? L'hypothèse fait son chemin.

    Pourtant, une étude parue dans les Pnas pourrait la rendre bancale. Cette recherche, menée notamment par des chercheurs français, comme Marie Soressi, désormais associée à l'institut Max PlanckMax Planck à Leipzig (Allemagne), suggère que l'Homme de Néandertal aurait façonné des outils en os à une époque où l'Homme moderne n'avait pas encore posé les pieds sur le continent européen. Ces derniers n'auraient donc pas pu jouer le rôle de professeurs.

    Des lissoirs qui pourraient changer l’histoire

    Bien souvent, les instruments en os sont semblables à ceux confectionnés en pierre. À une différence près : les deux matériaux n'ont pas les mêmes propriétés. D'abord, ils n'ont pas forcément la même texture, et l'os peut plier sans rompre. Ainsi, pour les lissoirs, objets conçus pour lustrer et imperméabiliser les peaux, les côtes de cerf ou de rennes semblent pertinentes.

    Et c'est bien de cela qu'il s'agit ici. Il y a une dizaine d'années, sur le site du Pech-de-l'Azé, en Dordogne, un fragment de ces outils a été découvert. Marie Soressi l'a envoyé pour analyse auprès d'un fabricant de produits de luxe parisien, qui travaille le cuir. Aussitôt, le personnel a compris l'utilisation d'un tel morceau d'os, bien arrondi à son extrémité, puisqu'il a recours à des objets de cet ordre aujourd'hui encore.

    Voici les lissoirs mis au jour dans deux sites néandertaliens en France. Leur bout arrondi suggère qu'ils ont servi à travailler des matériaux tendres et non rigides comme de la pierre. Les auteurs ont de leur côté façonné des outils similaires qu'ils ont testés sur des peaux, et ont montré que lorsqu'ils cassaient, ils laissaient des fragments identiques à ceux récoltés. Cela sous-entend qu'ils devaient bien être conçus dans ce but. © Projets Abri Peyrony et Pech-de-l'Azé

    Voici les lissoirs mis au jour dans deux sites néandertaliens en France. Leur bout arrondi suggère qu'ils ont servi à travailler des matériaux tendres et non rigides comme de la pierre. Les auteurs ont de leur côté façonné des outils similaires qu'ils ont testés sur des peaux, et ont montré que lorsqu'ils cassaient, ils laissaient des fragments identiques à ceux récoltés. Cela sous-entend qu'ils devaient bien être conçus dans ce but. © Projets Abri Peyrony et Pech-de-l'Azé

    Shannon McPherron, elle aussi de l'institut Max Planck, a dirigé une équipe qui a exhumé trois autres fragments d'outils similaires à une trentaine de kilomètres, sur le site de l'abri Peyrony. Pour les auteurs, il n'y a pas de doute : les lissoirs rapportés de leurs fouilles ont bien été façonnés par des Néandertaliens. Les objets alentour sont typiques de notre cousin, tandis qu'on ne relève aucune trace d'une occupation par les Hommes modernes. Les analyses au radiocarbone ont permis de dater ces lissoirs. Le premier découvert remonterait à 51.000 ans. Les autres étaient situées dans des couches âgées entre 48.000 et 41.000 ans.

    Néandertal, un professeur pour les Hommes modernes ?

    Or, le plus vieux site occupé par des Hommes modernes en Europe occidentale jusque-là mis au jour daterait de 42.000 ans, bien que des spécialistes pensent que leur arrivée est plus ancienne de quelques millénaires. Difficile malgré tout de croire qu'ils aient pu enseigner leur technologie à Néandertal 9.000 ans plus tôt.

    Une question se pose alors. Les deux groupes d'humains ont eu recours à des procédés identiques à peu près à la même époque, mais il semblerait selon ce travail que les Néandertaliens les auraient pratiqués avant même de connaître leurs cousins africains. Les Hommes modernes auraient-ils appris de Néandertal, ou auraient-ils développé en parallèle la technologie ?

    Harold Dibble, chercheur de l'université de Pennsylvanie (États-Unis) et non impliqué dans ce travail, était jusque-là plutôt sceptique quant aux capacités techniques des Néandertaliens. Mais il avoue dans Science Now que les éléments apportés sont plutôt convaincants. D'autres, comment Jean-Jacques Hublin, lui aussi de l'institut Max Planck, pensent que la théorie n'est pas à jeter à la poubelle, et que la datation de 51.000 ans pourrait être légèrement surestimée, ce qui permettrait alors aux Hommes modernes, arrivés selon lui il y a 48.000 ans, d'avoir enseigné leur savoir à leurs cousins. Néandertal, bien plus intelligent que prévu ? Le débat entre scientifiques ne semble donc pas encore clos.