Ce petit mammifère vieux de 127 millions d'années, découvert en Espagne, portait des épines alors que cet apanage semblait apparu bien plus tard. Pour autant, appartenant à un groupe totalement décimé lors de la grande extinction de la fin du Crétacé, qui a vu disparaître aussi les dinosaures, il n'a aucun lien avec nos hérissons. De quoi devoir réécrire l'histoire du poil.


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    Un poids entre 50 et 70 g, des dents à trois pointes acérées, une colonne vertébralecolonne vertébrale et des pattes fouisseuses semblables à celles des tatous, une crinière tout le long du dosdos et des épines similaires à celles du hérisson : voici à quoi devait ressembler, il y a 127 millions d’années, le mammifère nommé Spinolestes xenarthrosus, dont le fossile, parfaitement conservé, a été découvert en Espagne par une équipe internationale.

    Alors que cet animal possède des caractéristiques classiques de sa famille, comme le pelage, la présence d'épines bien particulières le rend unique en son genre et suggère que l'acquisition de poils épineux ne s'est pas faite progressivement au cours de l'évolution mais indépendamment et de manière distincte dans différentes lignées évolutives. Ces résultats, auxquels a contribué Romain Vullo du laboratoire Géosciences Rennes1 (CNRS, université Rennes 1), ont été publiés le 15 octobre 2015 dans la revue Nature.

    Le fossile de <em>Spinolestes xenarthrosus</em> transféré dans une plaque de résine époxy et dégagé à l’acide. Barre d’échelle : 1 cm. © G. Oleschinski
    Le fossile de Spinolestes xenarthrosus transféré dans une plaque de résine époxy et dégagé à l’acide. Barre d’échelle : 1 cm. © G. Oleschinski

    Le style de vie des tatous

    La découverte a été réalisée sur le site exceptionnel de Las Hoyas, un gisement du Crétacé inférieur (-127 millions d'années) situé en Espagne près de la ville de Cuenca. Ce dépôt sédimentaire, unique en Europe, contient une grande diversité de fossiles, emprisonnés dans un ancien environnement marécageux, semblable aux Everglades, en Floride.

    Il est fouillé depuis 1986 et a déjà fourni un grand nombre de fossiles de plantes aquatiques et terrestres, de crustacéscrustacés, d'insectesinsectes, de poissonspoissons, mais aussi de crocodilescrocodiles, de dinosauresdinosaures et d'oiseaux primitifs. 25 ans plus tard, en 2011, le premier mammifère a enfin été mis au jour, complétant ainsi la structure de cet écosystèmeécosystème.

    Ce fossile vient d'être décrit par les paléontologuespaléontologues. Ils en ont conclu qu'il s'agit d'une nouvelle espèceespèce, baptisé Spinolestes xenarthrosus, appartenant à l'ordre des eutriconodontes, une lignée de mammifères disparus à la fin de l'ère MésozoïqueMésozoïque (-252,2 à -66 millions d'années) et à la famille des gobiconodontes. C'est un petit animal de 25 centimètres de long, caractérisé par des dents à trois pointes acérées et des vertèbres du même type que celles des xénarthresxénarthres.

    Les proportions de ses pattes sont proches de celles d'animaux fouisseurs, suggérant un stylestyle de vie semblable à celui des tatous modernes, se nourrissant d'insectes et de larveslarves. Les marécages de Las Hoyas permettant à la fois un enfouissement et une minéralisation rapide des corps, de nombreux morceaux de peau avec des poils et des épines ont été parfaitement conservés.

    Les calcaires laminés du site de Hoyas où le petit mammifère a été découvert. © R. Vullo
    Les calcaires laminés du site de Hoyas où le petit mammifère a été découvert. © R. Vullo

    Un pelage doux, mais aussi des épines

    À partir de ces restes, les chercheurs ont déterminé que Spinolestes possédait une crinière dense de poils longs (de 3 à 5 mm) de la tête à l'omoplateomoplate, des poils longs et fins sur la région dorsale et sur la majeure partie de la queue, de petites épines et quelques écussons dermiques (de petites plaques ovales sans poils, faites de kératinekératine). Le reste de son corps était couvert par un pelage doux et dense.

    L'analyse microstructurale de portions de pelage montre qu'il est composé d'un mélange de poils primaires relativement épais, de poils secondaires plus petits, et d'épines sur la région dorsale. Ces dernières possèdent une surface écailleuseécailleuse et sont composées de poils primaires et secondaires modifiés, c'est-à-dire plus courts, rigides et en forme de bâtonnetbâtonnet, qui ont fusionné ensemble, un processus similaire à ce que l'on observe chez certains mammifères modernes tels que les hérissons ou les porcs-épics.

    Les « proto-épines » de <em>Spinolestes xenarthrosus</em>, situées sur le dos, au niveau de la ceinture pelvienne. Barre d’échelle : 1 mm. © R. Vullo
    Les « proto-épines » de Spinolestes xenarthrosus, situées sur le dos, au niveau de la ceinture pelvienne. Barre d’échelle : 1 mm. © R. Vullo

    Un mammifère unique

    À partir du cas de Spinolestes, les chercheurs estiment donc que les poils et les épines sont différenciés depuis le CrétacéCrétacé inférieur. De plus, le fait que plusieurs spécimens d'eutriconodontes possèdent bien une fourrure dense mais dépourvue d'épines, fait de Spinolestes une espèce unique en son genre, dont l'évolution s'est faite indépendamment d'espèces à épines comme les hérissons et a abouti à cette surprenante convergence avec les espèces épineuses modernes.

    Par ailleurs, le fossile possédant encore des bronchiolesbronchioles pulmonaires et des restes du foiefoie, les chercheurs ont délimité l'emplacement du diaphragmediaphragme de l'animal, une première preuve fossile que le système respiratoire unique des mammifères était bien fonctionnel dès le Mésozoïque. Pour les chercheurs, la diversité des fossiles de Las Hoyas représente une clé pour comprendre la révolution évolutive du Crétacé, correspondant à l'émergenceémergence de la flore et la faunefaune qui constituent la biodiversitébiodiversité d'aujourd'hui. Ils poursuivent donc leur analyse de Spinolestes xenarthrosus pour mieux comprendre son mode de vie et sa place dans cet écosystème, figé depuis 127 millions d'années.