Charles Darwin avait été le premier à imaginer un lien entre l’évolution du langage et de la fabrication d’outils. Plus de 130 ans après sa mort, une étude apporte des éléments montrant qu’il pourrait bel et bien exister un lien fort entre les deux événements.

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    Les mots s'envolent, mais les fossiles restent. Si l'on peut retracer certaines grandes phases de l'évolution humaine à partir des os et des outils retrouvés, la question de l'apparition du langage demeure plus complexe. Sur quels éléments se reposer ? Les scientifiques tentent tant bien que mal de répondre à la question.

    Charles Darwin avait par exemple imaginé que le langage pouvait être lié à la conception d'outils. Pour lui, les deux tâches impliquent une planification et la coordination d'actions. Mais peu de preuves venaient étayer cette hypothèse, si ce n'est celles apportées par des recherches récentes de Thierry Chaminade et Dietrich Stout. Ensemble, par l'intermédiaire de l'IRMfIRMf et de PET scansPET scans, deux techniques d'imagerie cérébrale, ils ont montré que les régions du cerveau sollicitées par la taille du silex et le langage sont quasiment identiques, d'autant plus quand la technique se perfectionne. Ce qui suggère une coévolution des deux aptitudes.

    Leur travail vient d'être approfondi par Natalie Uomini et George Meyer, deux chercheurs de l'université de Liverpool (Royaume-Uni). Bien qu'arrivant à des conclusions à peu près identiques, ils ont utilisé une autre technique d'imagerie, appelée doppler transcrânien fonctionnel (fCTD). Ainsi, ils ont pu tester chez des mêmes sujets les zones cérébrales impliquées dans leur aptitude à travailler la pierre et à parler.

    Des tailleurs de silex font parler le cerveau

    L'avantage de cet appareil est qu'il est portatif et qu'il peut être utilisé directement sur les participants pendant qu'ils suivent leur activité. Travailler le silex nécessite des mouvementsmouvements rapides, précis, et parfois violents, ce qui rend l'IRMf difficile à utiliser. Le fCTD, fréquemment utilisé en clinique pour évaluer les fonctions langagières chez des personnes ayant subi des dommages cérébraux, mesure l'activité du flux sanguin dans le cerveau.

    <em>Homo ergaster</em>, l'Homme artisan, qui vivait en Afrique il y a entre 1,8 et 1,3 million d'années, est connu pour avoir perfectionné les techniques de fabrication des outils. Mais lui doit-on également le langage ? © Wallyg, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Homo ergaster, l'Homme artisan, qui vivait en Afrique il y a entre 1,8 et 1,3 million d'années, est connu pour avoir perfectionné les techniques de fabrication des outils. Mais lui doit-on également le langage ? © Wallyg, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Ainsi, cette étude, publiée dans Plos One, a sollicité le talent de 10 tailleurs de silex. Ceux-ci étaient invités à façonner leurs outils selon deux techniques : une ancestrale, datée de 2,5 millions d'années, et une seconde datant de l'époque acheuléenne, comprise entre 1,75 million d'années et 500.000 ans. Ils s'interrompaient toutes les 30 secondes et tapaient alors sur une autre pierre, sans réfléchir, afin d'obtenir des données faisant office de contrôle.

    Dans un autre exercice, ils devaient réfléchir durant une trentaine de secondes à des mots commençant par la lettre qu'on leur donnait, tâche qu'ils entrecoupaient de sessions durant lesquelles ils pensaient à autre chose.

    Mots et outils, une localisation cérébrale commune

    Les résultats montrent une forte corrélation entre les deux aptitudes durant les 10 premières secondes. Pour les auteurs, c'est durant ce laps de temps que le tailleur de silex réfléchit à la meilleure façon d'aborder son caillou, mais également un délai dans lequel le cerveaucerveau s'agite pour réfléchir aux mots à trouver. L'alignement des profils de flux sanguin est d'autant plus important que la technique utilisée est moderne. Ainsi, ces tailleurs de pierre utilisent les mêmes régions du cerveau pour le langage et la conception d'outils.

    Les deux scientifiques supposent donc que l'aptitude à la parole serait apparue au début de l'Acheuléen, il y a 1,75 million d'années. Rudimentaire au départ, celle-ci se serait perfectionnée en même temps que les techniques de fabrication de silex se seraient complexifiées. Mais ces hypothèses demandent à être confirmées.

    D'ailleurs, la recherche ne convainc pas toute la communauté scientifique. Rien ne prouve que le langage n'est pas apparu plus tardivement, à partir des fondations cérébrales liées à la conception d'outils par exemple. De plus, le protocoleprotocole utilisé ne fait pas l'unanimité, le fCTD n'étant pas aussi précis qu'une IRMf. Les scientifiques disposent désormais d'éléments nouveaux. À eux désormais de les faire parler au mieux.