Du plancton fossile malformé vieux de 415 millions d'années révèle une forme de pollution par métaux lourds qui pourrait avoir contribué à certains des plus grands événements d'extinctions d'espèces vivantes dans l'histoire de la Terre.

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    Surface d'un calcaire à trilobites, brachiopodes, coraux rugueux et tabulés, gastéropodes, etc,. de la formation Jupiter datant du Silurien inférieur, sur l'île d'Anticosti, au Québec. © Axel Munnecke, Universität Erlangen-Nürnberg

    Surface d'un calcaire à trilobites, brachiopodes, coraux rugueux et tabulés, gastéropodes, etc,. de la formation Jupiter datant du Silurien inférieur, sur l'île d'Anticosti, au Québec. © Axel Munnecke, Universität Erlangen-Nürnberg

    Plusieurs événements d'extinction de masse du Paléozoïque (entre -541 et -252 millions d'années) ont façonné l'évolution de la vie sur notre Planète. Bien que certaines de ces crises, dont les extinctions de l'Ordovicien et du Silurien (il y a environ 485 à 420 millions d'années), aient été responsables de l'éradication de 85 % des espèces marines, les mécanismes responsables de ces crises restent mal compris.

    Des paléontologuespaléontologues ont remarqué une proportion élevée d'individus malformés, dits tératologiques, dans le phytoplancton et le zooplanctonzooplancton fossilesfossiles au sein de couches sédimentaires datant de l'Ordovicien-Silurien et correspondant aux étapes initiales des événements d'extinction. Ces organismes anormaux se retrouvant dans de nombreux dépôts, aussi bien en Suède qu'au Canada ou en Libye, les chercheurs se sont interrogés sur les origines de ces malformationsmalformations.

    Spécimen malformé de chitinozoaire, un fossile de micro-zooplancton du Silurien du genre <em>Margachitina</em>. © Thijs Vandenbroucke

    Spécimen malformé de chitinozoaire, un fossile de micro-zooplancton du Silurien du genre Margachitina. © Thijs Vandenbroucke

    Des malformations témoignent d'un empoisonnement par métaux lourds

    Les effets tératologiques de la pollution aux métauxmétaux lourds sur le plancton actuel sont bien établis : ces toxinestoxines provoquent des anomalies morphologiques chez les organismes aquatiques et la présence d'individus malformés sert habituellement d'outil pour détecter une contaminationcontamination. Les chercheurs du laboratoire Évolution, écologieécologie, paléontologiepaléontologie (CNRS, université de Lille), en collaboration avec des collègues américains et allemands, ont donc mesuré les concentrations en métaux dans certains des spécimens fossiles ainsi que dans les roches qui les entourent, pour un des événements du Silurien.

    Leurs résultats, publiés dans la revue Nature Communications le 25 août 2015, montrent que ce plancton ancien contient des niveaux élevés de métaux lourds, tels que le ferfer, le plombplomb et l'arsenicarsenic. Les abondances des différents éléments dans les fossiles et dans les roches, combinées avec la forte présence de formes tératologiques, suggèrent que les métaux ont été absorbés par les organismes lorsqu'ils étaient vivants et se sont en même temps déposés dans les sédimentssédiments alentour.

    Un empoisonnement par métaux lourds semble donc être la cause des malformations observées dans le microplancton. Les corrélations récurrentes entre l'apparition de ces organismes malformés et les événements d'extinction durant les périodes de l'Ordovicien et du Silurien pourraient indiquer que la contamination par des métaux toxiques est un facteur, jusqu'ici insoupçonné, ayant contribué aux phénomènes d'extinction dans les océans anciens.

    Comparaison d’un spécimen malformé de <em>Ancyrochitina</em> (a) et avec un autre normalement constitué (b). À droite (c), chaîne de trois <em>Margachitina</em>. Celui du milieu est malformé. Les flèches indiquent les anomalies constatées. L’échelle des barres blanches verticales est de 100 μm. © Thijs Vandenbroucke

    Comparaison d’un spécimen malformé de Ancyrochitina (a) et avec un autre normalement constitué (b). À droite (c), chaîne de trois Margachitina. Celui du milieu est malformé. Les flèches indiquent les anomalies constatées. L’échelle des barres blanches verticales est de 100 μm. © Thijs Vandenbroucke

    En cause, la baisse de la concentration en oxygène

    Des changements observés dans les rapports isotopiques pour le carbonecarbone, l'oxygène et le soufresoufre suggèrent qu'aux mêmes périodes la concentration en oxygène diminue dans les couches profondes de l'océan. Le scénario pourrait donc être le suivant : l'anoxieanoxie (diminution de l'oxygène dissous ou présent dans le milieu) des eaux favorisant la solubilité de certains éléments et entraînant des changements dans les cycles chimiques, les concentrations en métaux y augmentent. Ces eaux profondes pauvres en oxygène et riches en métaux remontent ensuite à la surface. Là, elles se mélangent aux eaux du plateau continentalplateau continental qui accueillent un écosystèmeécosystème très riche, entraînant l'extinction de nombreuses espèces et une pollution des sédiments.

    La toxicitétoxicité due aux métaux semble ainsi constituer le « chaînon manquantchaînon manquant » qui relie les extinctions en masse des organismes marins à l'anoxie généralisée de l'océan profond. L'existence des fossiles de planctonplancton malformés, indicateurs de cette pollution métallique, pourrait donc fournir un nouvel outil pour identifier les phases précoces de ces crises catastrophiques dans les archives géologiques.