La physicienne Lisa Randall avait proposé une ingénieuse théorie reliant l'existence de certains modèles de matière noire avec la disparition des dinosaures. Mais les observations du mouvement des étoiles de la Voie lactée, réalisées avec le satellite Gaia, ne semblent pas compatibles avec cette théorie.

au sommaire


    Mauvaise nouvelle pour la physicienne LisaLisa Randall. Starifiée au début des années 2000, avec son collègue Raman Sundrum, pour sa théorie décrivant notre univers comme une membrane plongée dans un cosmoscosmos possédant au moins cinq dimensions d'espace-temps, la chercheuse avait déjà sans doute été déçue de ne pas voir ses hypothèses confirmées par le LHC (elles n'ont pas été réfutées non plus). À présent, c'est sa théorie sur la matière noirematière noire qui semble en sérieuse difficulté, suite à un article déposé sur arXiv par une équipe de physiciensphysiciens menée par Katelin Schutz, doctorante de l'université de Berkeley, en Californie.

    De nombreux modèles de particules de matière noire ont été proposés depuis quarante ans environ : axions, wimps, particules supersymétriques, etc. Il est tout à fait possible que la matière noire soit en fait un mélange de ces différents candidats qui, pour le moment, restent hypothétiques. Toutefois, des expériences comme Cast, Xenon, Lux, et même l'étude du rayonnement fossile et des structures à grandes échelles de l'univers observable, ont contribué à poser des contraintes sur ces modèles.


    Les données astrométriques du satellite Gaia permettent de reconstituer les mouvements passés de millions d'étoiles depuis des millions d'années dans la Voie lactée, comme le montre cette simulation. En jaune, les étoiles dites « hypervéloces », qui foncent à des centaines de km/s dans notre Galaxie. Certaines sont si rapides qu'elles quitteront la Voie lactée. © ESA Science & Technology

    Une matière noire exotique qui perturberait les comètes

    On a fini par considérer de plus en plus sérieusement la possibilité que les particules de matière noire puissent avoir des interactions entre elles, notamment grâce à des forces qui ne sont pas contenues dans le modèle standardmodèle standard. Il y a quelques années, Randall a donc postulé qu'une partie au moins de la matière noire était composée de particules ayant ces interactions. En conséquence de quoi, tout comme dans le cas de la matière normale, la matière noire se serait effondrée gravitationnellement pour former un disque mince de matière noire dans les disques galactiques. Selon Randall, ce disque perturberait par son champ de gravitation les comètescomètes du nuagenuage d'Oort dans le Système solaireSystème solaire, provoquant indirectement des extinctionsextinctions, dont celle des dinosauresdinosaures. Le phénomène serait périodique, lié au fait que le Système solaire traverserait régulièrement le disque de matière noire au cours de son voyage autour de la Voie lactéeVoie lactée.

    Malheureusement, selon Katelin Schutz et ses collègues, les données astrométriques du satellite Gaiasatellite Gaia ne seraient pas compatibles avec l'existence d'un disque de matière noire suffisamment important pour causer ces extinctions. Le champ de gravitégravité du disque, s'il existe, devrait en effet affecter les mouvementsmouvements des étoilesétoiles mesurés par le satellite de l'ESAESA. Finalement, seule une petite partie de la matière noire serait faite de particules interagissant fortement entre elles. Malgré tout, Lisa Randall ne rend pas encore les armes. Selon elle, il existe des hypothèses dans les travaux de Katelin Schutz, dont elle reconnait la valeur, que l'on peut questionner.


    La matière noire est-elle coupable d'extinctions massives ?

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 13/03/2014

    Certains modèles exotiquesexotiques de matière noire permettent d'imaginer qu'une fraction des particules la constituant ne forme pas de halos autour des galaxies spiralesgalaxies spirales mais un second disque à l'intérieur. Selon deux chercheurs états-uniens, dont la célèbre Lisa Randall, en traversant périodiquement ce disque, notre Système solaire et surtout son nuage de Oortnuage de Oort seraient suffisamment perturbés pour qu'augmente le taux de bombardement cométaire des planètes internes. Tous les 35 millions d'années environ, des comètes causeraient des extinctions importantes, comme celle de la crise K-Tcrise K-T.

    Alors que la thèse de la météoritemétéorite (ou de la comète) tueuse de dinosaures des Alvarez (père et fils) gagnait lentement en crédibilité pendant les années 1980, elle a conduit plusieurs astronomesastronomes et physiciens, dont Richard A. Muller, à proposer plusieurs scénarios pour rendre compte d'une apparente périodicité dans les extinctions importantes ayant frappé la biosphèrebiosphère au cours des derniers 250 millions d'années. En effet, en 1984, les paléontologuespaléontologues David Raup et Jack Sepkoski ont publié un article dans lequel ils affirmaient avoir identifié une telle périodicité, dont la valeur était d'environ 26 millions d'années.

    Muller avait rapidement réagi à l'époque en proposant l'existence d'un corps céleste massif qui se rapprocherait périodiquement du nuage de Oort. En perturbant gravitationnellement ce nuage, ce corps, baptisé Némésis (du nom de la déesse de la juste colère des dieux dans la mythologie grecque), précipiterait un nombre important de comètes vers le Système solaire interne, augmentant le taux d'impact. La nature de ce corps céleste restait indéterminée : il pouvait s'agir d'une compagne lointaine du SoleilSoleil, comme une naine rougenaine rouge très peu lumineuse, une naine brunenaine brune ou peut-être une planète géanteplanète géante autrefois expulsé du Système solaire lors de sa formation (comme l'hypothétique Tyché).


    À l'occasion du passage de la comète Hyakutake en 1996, Jean-Pierre Luminet a donné une présentation générale du phénomène des comètes. Documentaire extrait du magazine Cassiopée, émission 8 intitulée « Les comètes ». Texte et voix off : Jean-Pierre Luminet, France Supervision (1996). © Jean-Pierre Luminet, YouTube

    De Némésis à un disque de matière noire

    Aujourd'hui, Wise n'a pas permis de découvrir la Némésis de Muller. Néanmoins, l'idée d'une périodicité dans les extinctions, bien que ne faisant pas encore l'unanimité parmi les paléontologues, continue de susciter de nouveaux scénarios issus de l'astrophysiqueastrophysique. L'idée de base est toujours d'obtenir une augmentation périodique du taux d'impact des comètes sur les planètes internes du Système solaire à partir de perturbations du nuage de Oort.

    La dernière théorie en date est celle de deux physiciens théoriciens de l'université Harvard, Lisa Randall et Matthew Reece, que l'on peut lire sur arxiv. L'année dernière, les deux chercheurs et leurs collègues avaient proposé qu'une petite partie de la matière noire était constituée de particules issues d'une physiquephysique encore plus exotique que celle des neutrinos stériles. Contrairement aux autres particules de matière noire qui ne peuvent pas interagir entre elles, ou très peu, autrement que par la force de gravité, elles ne formeraient pas un halo autour des galaxies, mais un second disque à l'intérieur de celui constitué de matière normale. Certaines théories des cordesthéories des cordes prédisent par exemple l'existence d'une sorte de monde miroirmiroir du nôtre, constitué d'équivalents de nos atomesatomes, mais qui ne peuvent interagir avec eux que par la force de gravité. La matière noire de ce monde pouvant se refroidir en s'effondrant gravitationnellement, elle pourrait donc former des disques comme la matière normale de notre univers.

    L'orbite oscillante du Soleil à travers la Voie lactée

    Selon Randall et Reece, le disque de matière noire exotique de notre Voie lactée aurait une épaisseur de 35 années-lumièreannées-lumière environ, et contiendrait donc l'équivalent d'une massemasse solaire par année-lumière cube. La raison pour laquelle sa présence conduirait à des perturbations périodiques du nuage de Oort n'a, elle, rien de mystérieux. Les forces gravitationnellesforces gravitationnelles que ressent une étoile comme le Soleil dans le gazgaz autogravitant d'étoiles formant le disque et le bulbe de la Voie lactée ne sont pas identiques à celles que le Soleil exerce sur une planète dans le Système solaire. Il en résulte que les étoiles ont des orbitesorbites ressemblant aux épicycles des planètes dans le modèle de PtoléméePtolémée, et, de plus, qu'elles effectuent aussi un mouvement d'oscillation périodique de part et d'autre du plan du disque galactique. Dans l'hypothèse où se placent Randall et Reece, le Soleil traverse donc périodiquement le disque de matière noire exotique qui serait présent dans notre Galaxie, et c'est à ce moment-là que le bombardement cométaire augmenterait. Les perturbations que ce disque engendrerait seraient en effet plus importantes avec de la matière noire, assez pour rendre compte des extinctions selon une périodicité de 35 millions d'années.

    L'hypothèse est ingénieuse, mais les deux chercheurs ne cachent pas qu'ils n'ont aucune certitude à son sujet. En effet, il faut garder à l'esprit que la périodicité des extinctions fait encore débat du fait des incertitudes de datation par exemple. Enfin, il est facile de produire un modèle de matière noire exotique précisément défini pour coller à une périodicité donnée. Pour avancer sur toutes ces questions, il faudra probablement démontrer l'existence du disque de matière noire et ensuite en tirer une prédiction précise sur une périodicité des perturbations qu'il engendrerait. Ce n'est qu'à ce moment-là que l'on pourra comparer cette prédiction à des observations plus convaincantes concernant la périodicité des extinctions dans la biosphère. À cet égard, on attend beaucoup des mesures de Gaia.