Les dernières recherches sur Spinosaurus aegyptiacus viennent de confirmer les hypothèses mises en scène dans Jurassic Park III : ce dinosaure carnivore, dépassant en taille le T-Rex et dont la tête fait penser à celle d’un crocodile, était bien adapté à une vie semi-aquatique. À ce jour, c’est le seul exemple de ce genre connu parmi les dinosaures.

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    Trop souvent, les plésiosaures, les pliosaures et les mosasaures sont présentés comme des dinosaures alors que ces reptiles marins géants du secondaire n'en étaient pas. Curieusement, et bien que des indices, comme des pistes, laissent penser que certains dinosaures pouvaient nager, on n'avait encore aucune preuve que ces animaux emblématiques du Jurassique et du Crétacé avaient pu se diversifier au point d'occuper des niches écologiques aquatiques ou semi-aquatiques. On avait bien pensé au XIXe siècle que les grands dinosaures herbivores, comme les brachiosauresbrachiosaures ou les diplodocusdiplodocus, passaient leur temps dans l'eau afin de pouvoir plus facilement supporter leur poids, mais cette hypothèse avait fini par être abandonnée.


    Spinosaurus aegyptiacus et le T-Rex ne se sont jamais côtoyés ni dans l'espace ni dans le temps car le premier vivait en Afrique du Nord, il y a environ 95 millions d'années, contrairement au second qui vivait en Amérique du Nord il y a environ 70 millions d'années. La scène que montre Jurassic Park III n'est donc jamais arrivée. Mais le Spinosaurus aegyptiacus était bel et bien plus grand que le T-Rex et il pouvait nager dans l'eau comme le montre le film de Steven Spielberg. En revanche, bien qu'il puisse aussi se déplacer sur la terre ferme, il ne devait pas le faire souvent et son mode de déplacement devait plutôt être celui d'un quadrupède, ce que suggèrent certaines scènes du combat dans ce clip. © Movieclips, YouTube

    Des spinosaures dans les rivières du Maroc à l'Égypte

    Pourtant, certains paléontologuespaléontologues suspectaient depuis un certain temps qu'au moins une espèceespèce de dinosaure s'était bel et bien adaptée à une vie semi-aquatique, comme le montrait en 2001 Jurassic Park III. Il s'agissait de Spinosaurus aegyptiacus. La première description de cet animal avait été faite en 1915 par le paléontologue allemand Ernst Freiherr Stromer von Reichenbach. Il avait découvert des restes fossilisés de ce dinosaure dans le Sahara égyptien. Malheureusement, ils ont été détruits par des bombardements sur Munich en 1944. Depuis, quelques os fossilisés et des dents coniques découverts au Maroc lui avaient été attribués et on pouvait s'attendre à de nouvelles découvertes concernant cet animal dans ce pays qui apparaît comme un paradis pour paléontologues.

    De fait, un article publié dans Science par une équipe internationale de chercheurs, comptant parmi ses membres Nizar Ibrahim et Paul Sereno de l'université de Chicago, Cristiano Dal Sasso et Simone Maganuco du musée d'histoire naturelle de Milan et Samir Zouhri, de l'université Hassan II de Casablanca au Maroc, donne de nouveaux indices sur Spinosaurus aegyptiacus grâce à des fossilesfossiles exhumés récemment. Ils ont été découverts dans des couches sédimentaires du Sahara marocain, le long de falaises appartenant à un plateau rocheux tabulaire semi-désertique posé sur la frontière algérienne, les Kem Kem. Datées de 95 millions d'années environ, ces couches gardent la mémoire d'un vaste réseau de rivières s'étendant jadis entre le Maroc et l'Egypte, comme l'explique et l'illustre la vidéo ci-dessous. Les Kem Kem sont bien connus des paléontologues qui y ont découvert des restes fossilisés de grands requins, de cœlacanthes et de crocodilienscrocodiliens ainsi que de reptiles volants géants et de dinosaures théropodesthéropodes carnivorescarnivores.


    Comme l’explique le paléontologue Nizar Ibrahim dans cette vidéo, travailler sur des fossiles de Spinosaurus aegyptiacus donne l’impression que l’on étudie des restes d’un animal extraterrestre tant il se singularise par rapport aux autres dinosaures en étant le premier découvert incontestablement adapté à la vie aquatique. Son collègue Paul Sereno précise que son crâne et sa queue ressemblent beaucoup à ceux d’un crocodile, ce qui constitue des preuves sérieuses d'un mode de vie semi-aquatique. Mais, comme le note Nizar Ibrahim, ce qui est le plus frappant chez Spinosaurus aegyptiacus est l’espèce de voilure constituée d’une hypertrophie des épines neurales de ses vertèbres dorsales. Certaines pouvaient atteindre la hauteur d’un Homme. Son étude laisse penser qu’elle servait avant tout à se signaler aux autres spinosaures, qu’ils soient des adversaires ou des partenaires potentiels pour la reproduction. © National Geographic, YouTube

    Des caractéristiques de crocodiles et d'ancêtres des baleines

    Les nouvelles informations déduites des fossiles retrouvées ont pu être combinées à celles déduites des descriptions qu'avait faites Ernst Freiherr Stromer von Reichenbach ainsi que des photographies qu'il avait laissées. Elles s'ajoutent à celles déjà obtenues en étudiant d'autres restes fossilisés de Spinosaurus aegyptiacus. Elles confirment que le dinosaure avait de multiples traits qui ne s'expliquent que par une adaptation à un mode de vie semi-aquatique. Un argument de poids en ce sens avait déjà été apporté en 2010 par un groupe de paléontologues français et chinois à partir de l'analyse des abondances des isotopes de l'oxygène présents dans les fossiles de ce dinosaure. Elles étaient similaires à celles des tortuestortues et des crocodilescrocodiles de leur époque mais différentes de celles des autres dinosaures. C'est la première fois que l'on a pu atteindre cette conclusion de façon ferme pour un dinosaure et, pour le moment, Spinosaurus aegyptiacus apparaît comme unique en son genre.

    Parmi les traits démontrant son adaptation à un milieu aquatique, on peut mentionner des os particulièrement denses et dépourvue des cavités typiques des dinosaures prédateurs terrestres qui leur permettaient d'alléger leur squelette. Ce genre d'os se retrouve par exemple chez des animaux comme les manchots où ils permettent un bon contrôle de la flottaison. Un petit bassin et des jambes courtes dont les os ont des proportions caractéristiques des animaux pagayant dans l'eau ont aussi été mis en évidence. L'ensemble ressemble d'ailleurs aux adaptations mises en place par les ancêtres des baleines qui avaient un mode de vie semi-aquatique. On constate aussi qu'en raison de leur long cou et de leur tronc le centre de massemasse des spinosaures était déplacé vers l'avant ce qui ne facilite pas un mode de locomotion bipède sur la terreterre ferme mais bien plutôt dans l'eau. Enfin, de petites narinesnarines situées en arrière sur le crânecrâne permettaient à Spinosaurus de respirer quand une partie de sa tête était dans l'eau