Le creusement du canal Seine-Nord Europe a été l’occasion pour l'Inrap d’étudier un site paléolithique au sud-ouest de Cambrai, qui fut occupé par l’Homme de Néandertal et l’Homme moderne entre 50.000 ans et 30.000 ans avant notre ère. De nombreuses disciplines scientifiques sont à l'œuvre pour mieux percevoir les activités de ces hommes dans leur environnement.

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    Les opérations de décapage : l'archéologue (à droite) surveille le travail des engins, la pelle charge les terres dans le tracto-benne qui les videra en dehors de l'emprise de la fouille. © Denis Gliksman, Inrap

    Les opérations de décapage : l'archéologue (à droite) surveille le travail des engins, la pelle charge les terres dans le tracto-benne qui les videra en dehors de l'emprise de la fouille. © Denis Gliksman, Inrap

    Avant que ne commence le creusement du canal Seine-Nord Europe, l'Inrap (Institut national d'archéologie préventive) a établi plusieurs diagnosticsdiagnostics entre 2008 et 2010 afin de cerner le potentiel de sites paléolithiques. Aujourd'hui, près de 80 kilomètres sur les 106 prévus ont été diagnostiqués, soit plus de 500 sondages profonds en puits répartis sur quatre départements : le Nord, le Pas-de-Calais, la Somme et l'Oise.

    À l'issue des résultats, les archéologues ont fouillé à Havrincourt des occupations préhistoriques sur une superficie de 1.500 m² à 5 mètres de profondeur (voir la visite virtuelle du site d'Havrincourt). Une seconde fouille a été réalisée sur plus de 4.500 m² à 6 mètres de profondeur. Exceptionnel sur de si grandes surfaces et à de telles profondeurs, le décapage a permis d'identifier deux niveaux d'occupation datant approximativement de 50.000 ans pour le plus ancien, et d'environ 30.000 ans pour le plus récent.

    Les deux temps du décapage : au premier plan, fouille manuelle d'un niveau datant du Paléolithique supérieur ; au second plan, fouille mécanisée d'un niveau datant du Paléolithique moyen. © Denis Gliksman, Inrap

    Les deux temps du décapage : au premier plan, fouille manuelle d'un niveau datant du Paléolithique supérieur ; au second plan, fouille mécanisée d'un niveau datant du Paléolithique moyen. © Denis Gliksman, Inrap

    Un site paléolithique exceptionnel

    L'occupation datant de 50.000 ans correspond à la fin du Paléolithique moyen. Certains indices indiquent que les silex étaient taillés selon la méthode de débitage Levallois (du site éponyme), caractéristique de la période. Les pièces, de belle facture, attestent la maîtrise et le savoir-faire des hommes qui les taillaient. L'ensemble des éléments de la chaîne opératoire (nucléus, éclats, outils) est présent sur place, associé à quelques restes animaux.

    L'occupation datant de 30.000 ans serait attribuable à la phase ancienne du Paléolithique supérieur. Les datations radiométriques devraient en confirmer le caractère exceptionnel pour le Nord de la France. Le niveau se compose entre autres de quatre loci (ou emplacements), dans lesquels des restes animaux sont associés à des vestiges d'industrie lithique. L'ensemble du cortège de la steppesteppe à mammouthsmammouths a été retrouvé : rhinocéros laineux, bison, cheval, rennerenne, mammouth. Chaque locuslocus, implanté sur 2 à 10 mètres carrés, comporte parfois plus de 400 artefacts (objets faits de main d'Homme).

    On dégage une dent de mammouth. © Denis Gliksman, Inrap

    On dégage une dent de mammouth. © Denis Gliksman, Inrap

    Un lieu apprécié de Néandertal et de Homo sapiens sapiens

    L'étude de ces vestiges permettra de mieux comprendre l'organisation territoriale des groupes humains. En effet, la découverte de ces loci isolés peut traduire une segmentation des activités dans l'espace, révélatrice du degré de planification de ces Hommes comme de leur organisation sociale ou une récurrence d'occupation par plusieurs groupes.

    Ce niveau d'occupation est une découverte exceptionnelle pour la région. Son étude fournira des données fondamentales pour appréhender les modalités de peuplement du nord-ouest de l'Europe par Homo sapiensHomo sapiens sapiens. D'autre part, ces fouilles sont remarquables car elles prouvent l'exploitation successive d'un même territoire par l'Homme de Néandertal (occupation la plus ancienne) et l'Homme moderne (occupation la plus récente).

    Une lame en silex apparaît dans le niveau archéologique supérieur datant d'environ 30.000 ans. © Denis Gliksman, Inrap

    Une lame en silex apparaît dans le niveau archéologique supérieur datant d'environ 30.000 ans. © Denis Gliksman, Inrap

    Plusieurs disciplines scientifiques collaborent

    Outre l'étude des silex taillés, qui est au cœur de la démarche du paléolithicien, de nombreuses disciplines sont sollicitées par l'archéologue pour appréhender les activités de l'Homme dans son milieu :

    La succession des décapages menés à Havrincourt a permis aux archéologues d'étudier des séquences lœssiques de plus de 6 mètres. Compte tenu des rares données existantes dans le nord de la France pour le Pléniglaciaire moyen (+ /- 55.000 à 30.000 ans), et au regard de celles attribuées au Début Glaciaire Weichselien (+ /- 112.000 à 70.000 ans), les séquences lœssiques d'Havrincourt serviront désormais de repères pour cette période permettant une reconstitution paléoenvironnementale et climatique au Pléniglaciaire moyen du Weichselien (+/- 55.000 à 30.000 ans) en contexte de versant.