Voilà près d’un million d’années, des homininés ont marché le long d’une rivière, enfonçant leurs pieds dans le sable fin. Découvertes par hasard sur une plage d’Angleterre, au pied de falaises grignotées par l’érosion, ces traces de passages d’êtres humains sont les plus anciennes retrouvées hors d’Afrique.

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    Les falaises de Happisburgh, en Angleterre, reculent devant les assauts de la mer du Nord, découvrant des sites âgés d’environ un million d’années. Des membres d’une espèce humaine disparue ont laissé ici leurs empreintes de pas. De quoi mieux comprendre les migrations de la famille humaine en Europe. © Nick Ashton et al., Plos One

    Les falaises de Happisburgh, en Angleterre, reculent devant les assauts de la mer du Nord, découvrant des sites âgés d’environ un million d’années. Des membres d’une espèce humaine disparue ont laissé ici leurs empreintes de pas. De quoi mieux comprendre les migrations de la famille humaine en Europe. © Nick Ashton et al., Plos One

    Étudiées en mai 2013 par une équipe britannique, les traces retrouvées au pied des falaises de Happisburgh, dans l'est de l'Angleterre, ont aujourd'hui disparu, emportées par le va-et-vient des marées. C'est un vrai hasard si elles ont été découvertes par des chercheurs venus là pour une étude de stratigraphie. Érodées par l'action de la mer, les falaises reculent à une vitesse élevée, que les géologuesgéologues essaient de mesurer, notamment sur ce site surveillé depuis 2005. Leur disparition progressive découvre des terrains anciens, et c'est là que résidait la surprise.

    Comme ils l'ont raconté lors d'une conférence de presse au British Museum, sur une zone d'environ 12 m2 où le sablesable avait été éliminé par les dernières marées hautes, les scientifiques ont remarqué un ensemble de curieuses dépressions. Elles ont rappelé à l'un d'eux, Martin Bates, des traces de pas humains, semblables à celles qu'il avait eu l'occasion d'observer ailleurs. Effectivement, beaucoup avaient bien la forme de pieds humains et certaines donnaient à voir les empreintes d'orteils. Sachant que ces fragiles formations ne résisteraient pas longtemps à la mer du Nord, les géologues, durant les deux semaines qui ont suivi la découverte, ont soigneusement photographié la scène avec des techniques de photogrammétrie 3D, utilisant un laser.

    Les traces vues de dessus. Pour l'un des géologues de l'équipe, elles ressemblaient étrangement à des traces de pas humains. Une intuition qui s’est révélée exacte. © Nick Ashton <em>et al.</em>, <em>Plos One</em>

    Les traces vues de dessus. Pour l'un des géologues de l'équipe, elles ressemblaient étrangement à des traces de pas humains. Une intuition qui s’est révélée exacte. © Nick Ashton et al., Plos One

    Analyse scientifique de la scène

    C'est en analysant plus tard ces images qu'ils ont confirmé la nature de ce relief : les traces de pas d'un groupe d'êtres humains. Les données géologiques donnent une datation comprise entre 0,78 et 1 million d'années, situant la scène au PléistocènePléistocène inférieur. Cette époque est ancienne, et les preuves de présence d'homininéshomininés en Europe y sont très rares. Comme le signalent les auteurs dans la revue Plos One, où leurs résultats viennent d'être publiés, la seule espèceespèce connue pour avoir vécu en Europe durant cette période est Homo antecessor, dont des restes fossilesfossiles ont été découverts en Espagne, à Atapuerca. Ces traces de pas humains deviennent les plus anciennes jamais découvertes hors d'Afrique, où le record est bien plus lointain avec les 3,7 millions d'années d'empreintes laissées par des australopithèques dans l'actuelle Tanzanie.

    En analysant ces 152 traces, ou plutôt leurs images (longueur, largeur, profondeur et orientation), les auteurs parviennent à plusieurs conclusions. Ce groupe d'homininés comprenait des adultes et des enfants et tous marchaient ensemble, en longeant une rivière. Les dimensions des 12 empreintes les plus lisibles sont compatibles avec ce que l'on sait de la corpulence d'H. antecessor, ce qui permet d'estimer leur taille entre 0,93 et 1,73 m.

    Le sol devait être boueux, ce jour-là. Il a ensuite séché puis a été recouvert par la sédimentation. Ce genre de traces est très rare et précieux pour les paléontologues. © Nick Ashton <em>et al.</em>, <em>Plos One</em>

    Le sol devait être boueux, ce jour-là. Il a ensuite séché puis a été recouvert par la sédimentation. Ce genre de traces est très rare et précieux pour les paléontologues. © Nick Ashton et al., Plos One

    La famille humaine a beaucoup voyagé

    Il y avait donc des adultes et des enfants. Quant à leur poids, les auteurs ont employé deux méthodes pour le déterminer, l'une reposant sur la surface des empreintes et l'autre sur leur longueur, en se limitant aux individus adultes (d'une pointure supérieure à 230 mm). Les deux convergent sur une fourchette entre 48 et 52 ou 53 kgkg.

    Outre le record d'ancienneté européenne, ces traces révèlent donc une présence humaine insoupçonnée, ajoutant une pièce au puzzle des espèces disparues et à leurs migrations. Les auteurs de l'étude attendent désormais que la mer du Nord creuse encore les falaises pour découvrir d'autres sites. Dans cette région, les prochaines découvertes ne seront donc plus le fruit du hasard...