Les corps momifiés d’une femme et d'un homme qui vivaient en Égypte il y a plus de 5.000 ans arboraient des tatouages figuratifs. Les tatouages n’étaient donc pas l’apanage des femmes dans l’ancienne Égypte. Que représentaient ces dessins ?

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    Voici deux ans, la momie d'une femme égyptienne qui aurait vécu il y a un peu plus de 3.000 ans impressionnait avec ses 23 tatouages (voir article plus bas). Mais en Égypte, le tatouage se pratiquait déjà depuis longtemps. Dans une étude qui vient de paraître dans le Journal of Archaeological Science, des chercheurs ont annoncé en avoir découvert sur les corps de deux Égyptiens qui ont vécu il y a plus de 5.000 ans. Il s'agit des plus vieux tatouages figuratifs jamais découverts.

    Personne n'avait remarqué auparavant la présence de ces tatouages sur cette femme et cet homme dont les dépouilles ont été rapportées d'Égypte au British Museum de Londres voilà plus d'un siècle. Des scans dans l'infrarouge ont finalement montré que ce qui avait été pris autrefois pour des taches sombres insignifiantes sont en réalité des tatouages. Ils ont probablement été réalisés avec de la suiesuie. Ceux présents sur le haut du bras de l'homme figureraient un taureau sauvage avec une longue queue et un mouflon à manchettesmouflon à manchettes avec des cornes incurvées. Quant à ceux qui ont été observés sur l'épaule droite de la femme, quatre sont en forme de S, disposés en diagonale. Leur sens n'est pas encore connu. Elle porteporte également un dessin qui, lui, est interprété comme étant un bâton utilisé dans une danse rituelle.

    Tatouages identifiés sur le haut du bras du sujet masculin. Le dessin du haut représenterait un mouflon à manchettes et celui du dessous, un taureau sauvage. © British Museum

    Tatouages identifiés sur le haut du bras du sujet masculin. Le dessin du haut représenterait un mouflon à manchettes et celui du dessous, un taureau sauvage. © British Museum

    Premiers tatouages découverts sur un homme de l’ancienne Égypte

    Les datations au carbone ont indiqué que les deux individus ont vécu entre 3351 et 3017 avant notre ère, soit peu avant l'unification de la Haute et de la Basse Égypte par Narmer, le premier Pharaon. Ils ont été enterrés sans préparation particulière dans une tombe peu profonde à Gebelein -- dans le sud de l'ancienne Haute Égypte --, à une quarantaine de kilomètres de l'actuelle Louxor. Les conditions climatiques durant cinq millénaires ont permis une très bonne conservation des deux corps.

    Une étude précédente avait révélé que le sujet masculin est mort poignardé dans le dosdos alors qu'il n'avait qu'entre 18 et 21 ans. C'est la première fois que des tatouages sont découverts sur un homme de l'ancienne Égypte. D'ailleurs, les archéologues inclinaient à penser que l'usage n'était réservé qu'aux femmes. Quel est le sens de ces tatouages ? Les chercheurs proposent qu'ils avaient un rôle social ou encore magique lié à une fonction ou un rituel. Nous en saurons plus avec d'autres découvertes de momies tatouées.

    Tatouages en forme de S identifiés sur l’épaule droite du sujet féminin. © British Museum

    Tatouages en forme de S identifiés sur l’épaule droite du sujet féminin. © British Museum

    En tout cas, « [...] nous obtenons de nouvelles perspectives sur la vie de ces individus remarquablement bien préservés, a déclaré Daniel Antoine, conservateur au British Museum et coauteur de l'étude. Incroyablement, avec plus de 5.000 ans d'âge, elles repoussent les preuves du tatouage en Afrique d'un millénaire ».

    Alors, s'agit-il des plus anciens tatouages au monde ? Figuratifs, oui. Mais c'est le célèbre guerrier Ötzi, retrouvé dans un glacierglacier des Alpes, qui porte le plus ancien tatouage connu. On notera que ce ne sont pas des motifs figuratifs mais des traits qu'il arbore. Par ailleurs, Ötzi vivait à la même période, entre 3370 et 3100 avant notre ère. Ils étaient peut-être contemporains.


    Une momie égyptienne tatouée étonne les chercheurs

    Article de Jean-Luc GoudetJean-Luc Goudet publié le 5 juin 2016

    Des babouins, la déesse Hathor et les yeuxyeux de Ouadjet : les tatouages repérés à l'infrarouge sur une femme égyptienne momifiée il y a plus de 3.000 ans seraient des motifs religieux. Ils diffèrent profondément des formes géométriques connues jusque-là.

    Une équipe de l'université de Stanford a présenté, lors d'un colloque, son étude d'une momie datant de la XXe dynastie, dont le corps porte de nombreux tatouages, de formes très variées. Elle avait été trouvée en 2014 lors des fouilles de l'Institut français d’archéologie orientale sur le site de Deir el-Médineh, un village connu, où résidaient des artisans chargés de construire les tombeaux des pharaons pendant le Nouvel empire égyptien (1550 à 1070 avant J.-C.). Les tombeaux dateraient de 1300 à 1070 avant J.C., donc après Akhénaton et Toutânkhamon. Plusieurs corps momifiés y avaient été découverts, et d'autres sont tatoués, mais n'avaient pas été étudiés de près.

    Anne Austin, archéologue de Stanford, a pu récemment examiner les 23 tatouages du corps d'une femme auquel il manquait les jambes, à l'aide de lumière infrarouge, plus pénétrante que la lumière visible et permettant de mieux suivre les contours. Conclusion : il ne s'agit pas de signes géométriques, le cas le plus fréquent, mais de dessins soignés présents sur les bras, les épaules, le cou et le dos. Les égyptologues y voient des babouins assis, des cobras, deux vachesvaches représentant la déesse Hathor et des yeux de Ouadjet (ou Oudjat).

    Ces symboles sont sans doute religieux, explique Anne Austin, pour le journal ABC News, et dans un article détaillé publié par Nature News, avant une publication scientifique dans Nature. Pour elle, ce corps tatoué doit probablement être celui d'une religieuse, et les tatouages devaient servir lors de cérémonies. « Quelle que soit la direction selon laquelle vous regardez le corps, vous voyez une paire d'yeux divins dirigés vers vous ». Certains tatouages sont plus visibles que d'autres, ce qui peut s'expliquer par le fait qu'ils ont été réalisés à différents âges. Anne Austin en conclut que le statut religieux de cette femme a dû évoluer au cours de sa vie. De quoi emmener les égyptologues dans un domaine mal connu, qu'ils pourront peut-être explorer avec d'autres momies tatouées.