On réfléchit mal quand on a envie de faire pipi. Pourquoi les scarabées mâles veulent-ils s’accoupler aux bouteilles de bière ? L’une des principales différences entre l’Homme et la tortue charbonnière à pattes rouges est l’absence, chez ce reptile, d’une contagion du bâillement. Une bonne manière de lutter contre le stationnement illégal est d’écraser les voitures. Le cru 2011 des IgNobel, la « science qui fait rire puis réfléchir » est excellent… À boire frais.

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    La science qui fait rire puis réfléchir, ou quand les scientifiques montrent qu'ils ont le sens de l'humour et de l'autodérision. © Improbable Research

    La science qui fait rire puis réfléchir, ou quand les scientifiques montrent qu'ils ont le sens de l'humour et de l'autodérision. © Improbable Research

    • À découvrir, notre dossier sur les IgNobel

    Les tant attendus prix IgNobel, concours organisé par la revue Annals of Improbable Research, viennent d'être décernés. Et l'on n'est pas déçus. Comme chaque année, le jury a sélectionné des « recherches improbables » réalisées par de vrais scientifiques (sauf pour le prix de littérature ou pour celui de la paix) et dont le libellé porteporte « à rire puis à réfléchir », selon la devise de l'association Improbable Research.

    Le nom du prix est un jeu de mots : en anglais, ignobel se prononce comme ignoble... Les scientifiques ainsi couronnés ne s'en offusquent jamais et n'hésitent pas à venir recevoir leur prix, dans la joie et la bonne humeur, lors d'une cérémonie déjantée au théâtre Sanders de l'université Harvard, près de Boston.


    La vidéo de présentation de la cérémonie de remise des prix. Même sans comprendre l’anglais, on constatera, grâce au chimiste Daniel Rosenberg, qu’il est possible de courber un rayon laser et même de l’avaler. © Improbable Research/YouTube

    Cette année, les sciences de la vie, de la physiologie à la médecine, sont à l'honneur avec plusieurs récompenses. Car contrairement aux prix Nobel, la liberté du jury IgNobel est grande dans le choix des thèmes. Une équipe de quatre biologistes venus d'Autriche, de Hollande et du Royaume-Uni ont remporté le prix de psychologie pour leur étude intitulée No evidence of contagious yawning in the red-footed tortoise Geochelone carbonaria, soit, en français, Aucune preuve de bâillementbâillement contagieuxcontagieux chez la tortue charbonnière à pattes rougestortue charbonnière à pattes rouges Geochelone carbonaria (ou Chelonoidis carbonaria).

    Chez ce sauropside chélonien (les zoologisteszoologistes n'aiment plus guère le mot reptilereptile), bien connu dans nos jardins, bâiller ne fait pas bâiller les autres, ce qui constitue tout de même une différence avec l'espèceespèce humaine, et sans doute la preuve de la supériorité de cette dernière. L'étude complète, publiée dans la revue Current Zoology, est disponible en PDF.

    Schéma du protocole expérimental pour mettre en évidence l'éventuelle contagion du bâillement chez la tortue charbonnière à pattes rouges. © Anna Wilkinson, Natalie Sebanz, Isabella Mandl, Ludwig Huber/<em>Current Zoology</em>

    Schéma du protocole expérimental pour mettre en évidence l'éventuelle contagion du bâillement chez la tortue charbonnière à pattes rouges. © Anna Wilkinson, Natalie Sebanz, Isabella Mandl, Ludwig Huber/Current Zoology

    Ne prendre aucune décision avant d'aller aux toilettes

    En éthologieéthologie, les jurés ont remonté la bibliographie jusqu'en 1983 pour redécouvrir les travaux de Darryl Gwynne et David Rentz qui ont étudié un étrange comportement sexuel chez un scarabée australien, Julodimorpha bakewelli, dont les mâles s'entêtent à s'accoupler avec les bouteilles de bière. Le duo de biologistes a récidivé en 1984 et on peut effectivement retrouver leur travail sur le Web (consulter l'excellent article originel : Beetles on the bottle). « C'est à cause de la couleur des bouteilles » avancent les auteurs pour expliquer cette pratique contre nature.

    Plus près de nos préoccupations quotidiennes, une équipe internationale a été récompensée d'un IgNobel de médecine pour une étude sur la qualité de prise de décision sous stress. Publié dans Psychological Science, le travail démontre que le jugement se dégrade fortement quand vient le besoin pressant d'uriner. À lire : Inhibitory spillover: Increased urination urgency facilitates impulse control in unrelated domains.

    Un scarabée s'intéresse à une bouteille de bière. La scène se passe en Australie en 1983 et intrigue suffisamment des entomologistes pour qu'ils étudient le phénomène scientifiquement. © D. T. Gwynne et D. C. F. Rentz/<em>J. Aust. Ent. Soc.</em> 1983, 22: 79-80

    Un scarabée s'intéresse à une bouteille de bière. La scène se passe en Australie en 1983 et intrigue suffisamment des entomologistes pour qu'ils étudient le phénomène scientifiquement. © D. T. Gwynne et D. C. F. Rentz/J. Aust. Ent. Soc. 1983, 22: 79-80

    Le vertige des lanceurs de disques

    On aurait tort de croire que seuls les auteurs anglosaxons sont concernés. Des Français ont été récompensés en 2006 et en 2008, respectivement pour une étude sur la façon dont se brisent les spaghettis non cuits et sur les performances de sauts chez les puces du chat et celles du chienchien.

    Cette année, l'Hexagone est présent à Harvard grâce à une équipe lorraine, qui, avec un chercheur hollandais, a expliqué pourquoi les lanceurs de disque ressentent un vertige, à la différence des lanceurs de marteau (Dizziness in Discus Throwers is Related to Motion Sickness Generated While Spinning, paru dans la revue Acta oto-laryngologica).


    Le maire de Vilnius (Lituanie), Arturas Zuokas, se voit gratifié de l’IgNobel de la paix pour une méthode jugée efficace contre le stationnement gênant, consistant à écraser les voitures mal garées (avec une préférence pour les modèles de luxe), à l’aide d’un véhicule blindé. © Meras Zuokas/YouTube

    Fort justement, des Japonais ont reçu le prix de chimie pour une étude sur la meilleure manière de réveiller une personne sourde ou aveugle la nuit, en cas d'alerte incendie par exemple. Il faut leur faire respirer du wasabi et l'équipe est allée jusqu'à déterminer le dosagedosage idéal.

    Terminons par le prix de mathématique (qui manque cruellement au Nobel), décerné à de multiples futurologues qui, après de puissantes supputations, ont annoncé la fin du monde en 1954, en 1982, en 1990, en 1992, en 1994 et en 1999. Soulignons que Harold Camping, qui avait calculé la date du 6 septembre 1994, a compris son erreur et a depuis rectifié, estimant désormais la date fatidique au 21 octobre 2011. Espérons que cette seconde estimation est aussi fausse que la première, au moins pour avoir le plaisir de découvrir les IgNobel 2012...