En Syrie, des archéologues ont entrepris un travail titanesque : numériser en 3D les monuments antiques. « Des milliers de sites », nous explique Yves Ubelmann, de la société Iconem qui réalise cette action. D’ordinaire, elle utilise des drones mais ils sont aujourd’hui interdits en Syrie, tout comme les GPS. Alors l’équipe utilise la photogrammétrie, avec un simple appareil photo. Elle court d’un site au suivant. Une épopée qui mériterait un grand documentaire.

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    Au mois de décembre 2015, l'équipe d'Iconem et des archéologues syriens ont visité dix sites en dix jours et ramené 40.000 images. Il faut faire vite. Dans la Syrie en guerre, la sécurité n'est assurée nulle part et cette donnée est à intégrer dans la préparation. « Il faut qu'on s'adapte. On part d'une problématique terrain », commente sobrement Yves Ubelmann, cofondateur d'Iconem, une entreprise hors normes dont la raison sociale est de sauver les trésors archéologiques de la planète.

    Le site d'Ougarit, datant de l'époque phénicienne, quatorze siècles avant notre ère. Problème d'informaticien : comment obtenir l'image du haut sans engin volant ? Avec des humains armés d'appareils photo et un logiciel adapté qui ajoutera les milliers de photographies sur un modèle 3D. © Iconem, DGAM

    Le site d'Ougarit, datant de l'époque phénicienne, quatorze siècles avant notre ère. Problème d'informaticien : comment obtenir l'image du haut sans engin volant ? Avec des humains armés d'appareils photo et un logiciel adapté qui ajoutera les milliers de photographies sur un modèle 3D. © Iconem, DGAM

    Syrian Heritage : un projet de sauvegarde du patrimoine archéologique

    Yves Ubelmann et son collègue, Philippe Barthélémy, en ont vu d'autres, il est vrai. En Afghanistan, par exemple, où ils ont ausculté le site de Mes Aynak avant qu'il ne soit détruit pour l'exploitation d'une mine de cuivre. Détériorées par les talibans, les ruines millénaires étaient impossibles à explorer à pied. C'est pour cela qu'Iconem était là : l'équipe a en effet mis au point une technique de saisie d'images depuis un drone (piloté par Philippe Barthélémy). Futura-Sciences avait rapporté ces aventures mêlant archéologie, drones et réalité virtuelle.

    Après la prise de Palmyre par Daesh et la destruction du temple de Bel, la DGAM, Direction générale des antiquités et des musées, a fait appel à cette start-upstart-up pour une vaste opération, Syrian Heritage : numériser en 3D un maximum de sites archéologiques pour constituer la plus grande base de donnéesbase de données sur le patrimoine syrien. Les modèles seront aussi accessibles pour le public. On peut déjà en voir sur le site d’Iconem et sur celui de la DGAM.

    Entraînement à la photographie. © DGAM

    Entraînement à la photographie. © DGAM

    « On arrive en Syrie en taxi par le Liban »

    L'entreprise Iconem a d'abord formé les archéologues syriens puis s'est rendue sur place pour prendre part aux relevés. Cependant, en Syrie, le vol des drones est aujourd'hui impossible. Même un simple GPSGPS est difficile à emporter. « Nous arrivons par le Liban, en taxi. Le passage de la frontière est difficile... », témoigne Yves Ubelmann. Sur place, « nous allons où c'est stable », en commençant par les sites les plus remarquables.

    C'est donc avec de simples appareils photo, tenus à la main, que les archéologues opèrent mais en suivant un protocoleprotocole bien précis. « On se débrouille avec la photogrammétrie. Nous avons recréé un outil informatique pour traiter ces données ».

    Le théâtre de Jableh date du troisième siècle avant notre ère. Le modèle montre à la fois les restes actuels et les plans du monument reconstitué. © Iconem, DGAM

    Le théâtre de Jableh date du troisième siècle avant notre ère. Le modèle montre à la fois les restes actuels et les plans du monument reconstitué. © Iconem, DGAM

    Il faut s'adapter au terrain

    Avec ses données, le système d'Iconem permet de reconstituer un modèle 3D, qui peut aussi intégrer des informations venues d'ailleurs, comme des plans dessinés, voire des croquis réalisés à la main, comme nous l'expliquions à propos d'une cartographie d'une maison romaine à Pompéi ; ces images sont visibles dans notre article intitulé Chronique du futur : drones et réalité virtuelle stimulent l'archéologie.

    Les prises de vue doivent donc être précisément positionnées sur la cartographie existante. Sur le site du Krak des chevaliers, à Damas, d'époque médiévale, « il y a beaucoup d'élévations, donc les relevés sont plus faciles et nous avons scanné 95 % du site ». Ailleurs, c'est plus compliqué et il faut s'adapter. Le travail ne fait que commencer : en Syrie, il reste des milliers de sites à numériser...