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    Les véhicules à ADNADN et les gènesgènes voyageurs sont partout. Or, aucun des mécanismes et aucun des véhicules décrits ici n'étaient connus ou soupçonnés lors de la conception de la théorie de l'évolutionthéorie de l'évolution, en 1859. Ils n'ont été repérés que plus tard, pour beaucoup après plus d'un siècle, en partie grâce à l'impulsion donnée à la biologie par la théorie darwinienne.

    Cellule infectée. © PublicDomainPictures, Pixabay, DP
    Cellule infectée. © PublicDomainPictures, Pixabay, DP

    En matière de mobilité de l'ADN, plus la recherche a progressé, plus les biologistes ont réalisé l'ampleur considérable des moyens dont l'ADN dispose ou qu'il détourne lorsqu'il se déplace entre les cellules, voire entre les espècesespèces.

    Impact du processus de transfert latéral sur l’évolution des organismes. La trame en bleu, évoquant un arbre évolutionnaire, représente l’évolution des lignées d’organismes au cours du temps, du passé (en bas) vers le présent (au sommet du dessin). Des lianes horizontales relient les différentes branches de cet arbre pour représenter la circulation d’instructions génétiques codant des propriétés biologiques d’une lignée à l’autre. Par exemple, au sein des bactéries, des gènes peuvent devenir mobiles (1), emprunter un « véhicule » (2) pour quitter leur lignée, puis pénétrer et s’établir dans une nouvelle lignée hôte (3,4) et contribuer à des adaptations utiles à l’évolution future de cette lignée (5). Des organismes entiers peuvent même changer de lignée par introgression, comme dans le cas des plastides et des mitochondries au sein des eucaryotes. Ces anciennes bactéries libres sont depuis devenues des organes à part entière de l’hôte qui en bénéficie. © Dr. Smets, DP
    Impact du processus de transfert latéral sur l’évolution des organismes. La trame en bleu, évoquant un arbre évolutionnaire, représente l’évolution des lignées d’organismes au cours du temps, du passé (en bas) vers le présent (au sommet du dessin). Des lianes horizontales relient les différentes branches de cet arbre pour représenter la circulation d’instructions génétiques codant des propriétés biologiques d’une lignée à l’autre. Par exemple, au sein des bactéries, des gènes peuvent devenir mobiles (1), emprunter un « véhicule » (2) pour quitter leur lignée, puis pénétrer et s’établir dans une nouvelle lignée hôte (3,4) et contribuer à des adaptations utiles à l’évolution future de cette lignée (5). Des organismes entiers peuvent même changer de lignée par introgression, comme dans le cas des plastides et des mitochondries au sein des eucaryotes. Ces anciennes bactéries libres sont depuis devenues des organes à part entière de l’hôte qui en bénéficie. © Dr. Smets, DP

    Ces découvertes sont une bonne nouvelle. En science, la reconnaissance de nouveaux éléments est normale, conforme à l'objectif de production de nouvelles connaissances. Néanmoins, cette situation pose la question de l'accord, de la cohérence entre les théories initiales et les nouveaux phénomènes. Plusieurs cas de figure sont possibles : ou bien les éléments nouveaux sont intégrés dans le cadre des théories existantes, ou bien la théorie doit être ajustée, doit évoluer, voire céder la place à une théorie alternative pour donner aux nouvelles observations la place qu'elles méritent. En leur temps, la découverte de l'oxygène et celle des rayons X n'ont pas simplement ajouté un élément supplémentaire à ceux qui constituaient le monde alors reconnu par les savants, elles ont transformé cette vision du monde et les théories scientifiques.

    La reconnaissance de l'omniprésence des éléments mobilesmobiles et des gènes voyageurs pose précisément ce type de problème. D'après une des conceptions fondamentales de la théorie de l’évolution, toutes les lignées biologiques divergent le long d'un arbrearbre universel, par mutation, sélection et différentiationdifférentiation de leur matériel génétiquematériel génétique depuis un dernier ancêtre communancêtre commun. Seule la transmission héréditaire d'ADN d'ancêtres à descendants est anticipée. Le modèle arborescent ne prévoit nullement que l'information génétique puisse voyager entre les lignées ni que les matériaux les plus intimes de l'évolution, les gènes, puissent être mis en commun entre des organismes d'espèces différentes. Ce modèle ne prévoit pas non plus l'évolution d'entités (les virus, les plasmidesplasmides, les agents de transfert de gènes, les nanotubesnanotubes, etc.) remplissant le rôle tout à fait inattendu de passeurs de gènes. Aussi, le modèle standard de l'arbre universel des espèces semble a priori insuffisant pour rendre compte de la très grande dynamique des instructions génétiques au cœur du vivant et de ses conséquences sur l'évolution. À mon avis, le modèle standard mérite d'être complété par une description alternative de l'évolution qui tient compte des voyages de gènes d'un hôte à l'autre : un réseau génétique de tous les objets issus de l'évolution biologique.

    Le réseau social des microbes. Un tel réseau permet de répondre à la question « qui partage des gènes avec qui ? » Il représente les partages d’instructions génétiques proches (95 % identiques) entre différentes bactéries (nœuds en vert), des virus (nœuds en rouge) et des plasmides (nœuds en mauve). Un lien direct entre deux nœuds caractérise le partage de cette instruction. Cette description permet également de mieux comprendre comment les gènes voyagent entre les organismes et entre leurs « véhicules à ADN ». © DP
    Le réseau social des microbes. Un tel réseau permet de répondre à la question « qui partage des gènes avec qui ? » Il représente les partages d’instructions génétiques proches (95 % identiques) entre différentes bactéries (nœuds en vert), des virus (nœuds en rouge) et des plasmides (nœuds en mauve). Un lien direct entre deux nœuds caractérise le partage de cette instruction. Cette description permet également de mieux comprendre comment les gènes voyagent entre les organismes et entre leurs « véhicules à ADN ». © DP

    S'interroger sur l'évolution de l'évolution

    L'évolution de la majorité des êtres biologiques - virus, bactériesbactéries, archéesarchées et eucaryoteseucaryotes - est plus compliquée à comprendre qu'on ne l'avait anticipé. Elle suppose la prise en compte d'interactions fonctionnelles et génétiques entre des formes qui évoluent très différentes, en plus de l'étude de la généalogie de ces êtres. Typiquement, pour comprendre ce que nous sommes, nous devons comprendre aussi avec qui nous vivons. Pour mieux connaître l'Homme, il ne suffit pas d'étudier les gènes de l'ADN humain, il faut aussi étudier les gènes et les voyages de l'ADN de nos partenaires génétiques. Nos théories doivent aussi décrire l'émergenceémergence de nouveautés évolutives et de nouveaux systèmes biologiques issus d'alliances, alimentées par les voyages des gènes. Dans un futur proche, l'évolutionniste pluraliste devra donc peut-être étudier bien plus qu'un arbre.

    De nombreux modèles de réseaux sont d'ailleurs déjà de plus en plus employés par les scientifiques pour décrire les partenariats génétiques et les mouvements de l'ADN au sein des lignées et entre les lignées. Il s'agit d'une évolution de la théorie de l'évolution, ce qu'on attend d'une science active, tout le contraire d'un dogme immuable. Aucun esprit mal intentionné, aucun adversaire de la biologie évolutive, comme les créationnistes ou les partisans du dessein intelligentdessein intelligent, ne peut donc prétendre trouver dans ces progrès des modèles évolutifs quelque réconfort ou soutien que ce soit. De tels développements ne suggèrent nullement de déconsidérer l'évolution. Au contraire, ils signifient qu'en élargissant la gamme de nos modèles et de nos représentations, nous pouvons nous attendre à en apprendre toujours plus au sujet de ce fait biologique majeur.