Tout le monde se souvient de cette épidémie de chikungunya qui avait frappé l’île de la Réunion entre 2005 et 2006. Elle avait conduit la France à s’intéresser à la production d’un vaccin. Où en est-on huit ans plus tard ? Frédéric Tangy, qui travaille à l’élaboration d’un tel produit à l’institut Pasteur, dresse un état des lieux pour Futura-Sciences.

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    La maladie de l'Homme courbé. Voilà comment on traduit le terme « chikungunya », issu des langues bantoues (parlées dans la moitié sud de l'Afrique), pour désigner une maladie virale transmise par les moustiquesmoustiques du genre Aedes, dont le fameux moustique-tigre. Le nom est rentré dans le langage courant en France, lorsqu'au cours des années 2005 et 2006, la Réunion a été frappée par une épidémie de grande ampleur. On estime que près de 300.000 habitants de l'île ont été contaminés, soit un peu moins de 40 % de la population, et 248 décès directs ou indirects ont été recensés.

    Pour l'heure, il n'y a rien à faire pour traiter cette maladie, à part tenter d'atténuer les symptômes douloureux qu'elle induit. Pourtant, la piste d'un vaccin est explorée depuis une quarantaine d'années. Pourquoi n'existe-t-il pas encore aujourd'hui ? Des difficultés techniques ? Non, selon Frédéric Tangy, directeur de recherche de l'unité de Génomique virale et vaccination de l'institut Pasteur. Le problème serait plutôt d'ordre économique.

    Le chikungunya frappe surtout les pays tropicaux, plutôt pauvres. Or en 1971, un premier essai de vaccin inactivé voyait le jour. « Mais il était trop cher à produire, et nécessitait plusieurs doses. Il a dû être abandonné », explique le chercheur. C'est une dizaine d'années plus tard que l'armée des États-Unis a développé un vaccin, un vaccin atténué cette fois. Mais les essais cliniquesessais cliniques de sûreté se sont révélés négatifs. « Le virusvirus n'était pas assez atténuéatténué, et chez certains sujets, il était même redevenu aussi pathogènepathogène que l'original ». Ce travail a été mis de côté durant de nombreuses années.

    À l'image, on peut voir le virus à l'origine du chikungunya, transmis à l'Homme par les moustiques du genre <em>Aedes</em>, au moment où la femelle injecte de la salive anticoagulante lors de la piqûre. La maladie est rarement mortelle mais les symptômes sont intenses. © AJC1, Flickr, cc by nc 2.0

    À l'image, on peut voir le virus à l'origine du chikungunya, transmis à l'Homme par les moustiques du genre Aedes, au moment où la femelle injecte de la salive anticoagulante lors de la piqûre. La maladie est rarement mortelle mais les symptômes sont intenses. © AJC1, Flickr, cc by nc 2.0

    Un vaccin contre le chikungunya dans 5 ou 6 ans

    La France a finalement chargé l'Inserm et l'institut Pasteur de rentrer en contact avec les Américains, alors que la Réunion était frappée par le chikungunya. « Mais le virus vaccinal, qui n'avait subi qu'une quinzaine de passages sur cellules pour atténuation, au lieu des 150 à 200 habituellement nécessaires, n'était pas exploitable. Alors on a cessé de suivre cette piste », poursuit Frédéric Tangy.

    D'autres chemins ont été empruntés. Actuellement, plusieurs laboratoires à travers le monde courent après ce vaccin, et quelques-uns ont entamé les essais cliniques« Les plus avancés sont en phase I, voire en début de phase II. Il faudra donc attendre encore cinq ou six ans avant qu'un tel produit ne se retrouve sur le marché ».

    Le « chik », un problème économique

    Mais de l'avis de l'expert, la principale difficulté ne sera pas d'aboutir à un produit efficace. « Quelles que soient les voies empruntées, il semblerait possible d'aboutir à un vaccin protecteur, bien plus facilement que contre la dengue ou le paludisme par exemple », précise le chercheur. Tant mieux alors. Oui, mais il reste un problème de taille à régler : qui va payer ?

    « Les grands groupes pharmaceutiques ne s'engageront dans le projet que s'il est économiquement rentable. Il faut donc savoir à qui ces vaccins seront destinés, s'ils pourront être produits en massemasse, et donc s'ils intéresseront les autorités sanitaires nationales et mondiales. Or, le chikungunya est certes douloureux, mais peu mortel. Faut-il investir les efforts dans cette lutte ? Tout ça peut faire basculer la décision d'un industriel. »

    À chaque public son vaccin

    Différentes stratégies devraient mener à un vaccin. Mais encore faut-il savoir le vendre. Un laboratoire a repris le virus de l'armée américaine et l'a inactivé. Il ciblerait plutôt les voyageurs qui voudraient se rendre le temps d'un séjour dans les territoires où le chikungunya est endémiqueendémique. Frédéric Tangy, lui, vise un autre public.

    « Nous avons pris le parti de combiner le vaccin contre le chikungunya avec celui de la rougeolerougeole. On a suffisamment de recul pour savoir que ce dernier est efficace, sans danger et facile à produire à bas prix. » Ainsi, comme de nombreux enfants reçoivent le vaccin ROR, ils seraient du même coup immunisés à vie contre le chikungunya. L'opération serait réalisée sur chaque nouvelle génération. « On espère rentrer en phase I à la fin de l'année 2013 ou, au plus tard début 2014, reprend le biologiste. Nous sommes optimistes car chez l'animal, une seule injection a suffi pour une protection totale. »

    La course est lancée, reste désormais à savoir si elle va pouvoir être menée à son terme. « Nous faisons notre partie du travail. Après, c'est à l'industriel de prendre le relais et de le terminer », conclut Frédéric Tangy. Les firmes pharmaceutiques se donneront-elles alors les moyens d'aller au bout du projet ?