Des chercheurs français ont programmé des bactéries pour qu’elles puissent détecter certaines molécules dans le sang ou l’urine. Cette innovation franchit une nouvelle étape vers l’utilisation de cellules modifiées pour signaler la présence de pathologies.

au sommaire


    Les chercheurs ont programmé des bactéries pour détecter des molécules particulières. © AJ Cann, Flickr, microbiologybytes.com, cc by sa 2.0

    Les chercheurs ont programmé des bactéries pour détecter des molécules particulières. © AJ Cann, Flickr, microbiologybytes.com, cc by sa 2.0

    Les bactéries ont mauvaise réputation et sont souvent considérées comme nos ennemis causant de nombreuses maladies comme la tuberculose ou le choléra. Cependant, elles peuvent aussi être des alliées comme en témoignent les travaux de plus en plus nombreux sur notre flore bactérienneflore bactérienne, ou microbiote, qui joue un rôle majeur dans le fonctionnement de l'organisme. Depuis l'avènement des biotechnologiesbiotechnologies, les chercheurs ont modifié des bactéries pour produire des moléculesmolécules thérapeutiques ou des antibiotiques. Dans ce nouveau travail, elles deviennent un véritable outil de diagnosticdiagnostic.

    Le diagnostic in vitroin vitro est basé sur la présence dans les liquidesliquides physiologiques (sang, urine par exemple) de molécules caractéristiques d'une pathologiepathologie donnée. Du fait de sa non-invasivité et facilité d'usage, le diagnostic in vitro est un enjeu majeur pour la détection précoce des maladies ainsi que pour leur suivi. Cependant, ces tests sont parfois complexes et nécessitent des technologies sophistiquées souvent uniquement disponibles dans les centres hospitaliers.

    C'est à ce stade que les systèmes biologiques entrent en jeu. Les cellules vivantes sont de véritables nanomachinesnanomachines capables de détecter et traiter de nombreux signaux et d'y répondre. Elles représentent donc des candidats évidents pour le développement de nouveaux tests diagnostiques puissants. Encore faut-il leur fournir le programme adéquat pour réussir à leur faire accomplir les tâches souhaitées. 

    Pour cela, l'équipe de Jérôme Bonnet au Centre de biochimiebiochimie structurale de Montpellier (Inserm, CNRS, université de Montpellier) a eu l'idée d'utiliser des concepts de biologie synthétique dérivés de l'électronique pour construire des systèmes génétiquesgénétiques permettant de « programmer » les cellules vivantes à la manière d'un ordinateurordinateur.

    En électronique, le transistor est un élément servant d’interrupteur et d’amplificateur de signal. © Paul Downey, Flickr, cc by 2.0

    En électronique, le transistor est un élément servant d’interrupteur et d’amplificateur de signal. © Paul Downey, Flickr, cc by 2.0

    Le transcriptor est une adaptation génétique du principe du transistor

    Le transistor est l'élément central des systèmes électroniques modernes. Il joue à la fois le rôle d'interrupteur et d'amplificateur de signal. En informatique, en combinant plusieurs transistors, il est possible de construire des « portesportes logiques », c'est-à-dire des systèmes répondant à différentes combinaisons de signaux selon une logique prédéterminée. Par exemple une porte logique « ET » à deux entrées produira un signal uniquement si deux signaux entrants sont présents. Tous les calculs effectués par les appareils électroniques que nous utilisons quotidiennement, comme les smartphones, reposent sur l'utilisation de transistors et des « portes logiques ».

    Lors de son séjour postdoctoral à l'université de Stanford aux États-Unis, Jérôme Bonnet a inventé un transistor génétique, le transcriptor. L'insertion d'un ou plusieurs transcriptors dans les bactéries les transforme en calculateurs microscopiques. Les signaux électriques utilisés en électronique sont remplacés par des signaux moléculaires contrôlant l'expression génétique. Ainsi, il est à présent possible d'implanterimplanter dans les cellules vivantes des « programmes » génétiques simples en réponse à différentes combinaisons de molécules.

    Dans ce nouveau travail paru dans Science Translational Medicine, les équipes de Jérôme Bonnet (CBS, Inserm U1054, CNRS, université de Montpellier), de Franck Molina (SysDiag, CNRS) associées au professeur Éric Renard (CHRU de Montpellier) et de Drew Endy (université de Stanford) ont appliqué cette nouvelle technologie à la détection de signaux pathologiquespathologiques dans des échantillons cliniques.

    Les chercheurs ont testé leur découverte avec des échantillons cliniques. © Lori Greg, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Les chercheurs ont testé leur découverte avec des échantillons cliniques. © Lori Greg, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Le système détecte la présence anormale de glucose chez les diabétiques

    Les échantillons cliniques sont des milieux complexes dans lesquels la détection de signaux est difficile. Les auteurs ont utilisé les capacités d'amplification du transcriptor pour détecter des marqueurs pathologiques présents même en très petite quantité. Ils ont aussi réussi à stocker plusieurs mois le résultat du test dans l'ADN des bactéries. Les cellules deviennent ainsi capables de réaliser différentes opérations en fonction de la présence de plusieurs marqueurs, ouvrant la voie à des tests diagnostiques plus précis reposant sur la détection de « signatures » moléculaires.

    « Nous avons standardisé notre méthode puis confirmé la robustesse de nos systèmes bactériens synthétiques dans les échantillons cliniques. Nous avons aussi mis au point une technique rapide pour connecter le transcriptor à de nouveaux systèmes de détection. Tout ceci devrait faciliter la réutilisation de notre système », précise Alexis Courbet, étudiant en thèse et premier auteur de l'article.

    Les auteurs ont connecté au transistor génétique un système bactérien répondant au glucoseglucose et détecté la présence anormale de glucose dans les urines de patients diabétiques. « Nous avons déposé les éléments génétiques utilisés dans ce travail dans le domaine public pour permettre leur libre réutilisation par d'autres chercheurs publics ou privés », déclare Jérôme Bonnet. « Nos travaux se concentrent à présent sur l'ingénierie de systèmes génétiques artificiels pouvant être modifiés à la demande pour détecter différentes molécules marqueurs de maladie », ajoute-t-il. Dans le futur, ces travaux pourraient aussi être appliqués à l'ingénierie de la flore microbienne pour le traitement de diverses pathologies, notamment les maladies intestinales.