Observées chaque jour dans un laboratoire grenoblois depuis 1988, des bactéries en sont à 55.000 générations, soit l’équivalent de deux millions d’années d’évolution pour des êtres humains. Objectif de cette expérience géante : comprendre comment les mutations du génome des bactéries participent à leur capacité d'adaptation. Les résultats pourraient permettre d’améliorer la lutte contrer l'émergence de microorganismes multi-résistants aux antibiotiques.

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    En presque 25 ans, certaines populations bactériennes ont vu leur taux de mutation être multiplié par 100. Elles sont devenues hypermutatrices. © Alvin K., Flickr, cc by-nc-nd 2.0

    En presque 25 ans, certaines populations bactériennes ont vu leur taux de mutation être multiplié par 100. Elles sont devenues hypermutatrices. © Alvin K., Flickr, cc by-nc-nd 2.0

    Les mutations de l'ADN sont à l'origine des variations qui permettent l'évolution des organismes vivants. Elles peuvent avoir des effets positifs, négatifs ou neutres, et c'est l'équilibre entre ces différents effets qui va conduire à l'adaptation des organismes vivants à leur environnement. Comprendre comment la production de mutations varie au cours du temps est donc indispensable pour décrire les processus évolutifs.

    L'équipe dirigée par Dominique Schneider au sein du Laboratoire adaptation et pathogénie des microorganismesmicroorganismes (LAPM) a lancé la plus longue expérience d'évolution en cours dans le monde. Dans le cadre de ce projet, des populations bactériennes ont été initiées à partir d'une cellule unique d'Escherichia coli (« l'ancêtre ») et sont cultivées nuit et jour, 365 jours par an, depuis 1988. Les chercheurs effectuent des prélèvements à intervalles réguliers sur ces populations, et les conservent, ce qui permet d'obtenir de véritables archives fossilesfossiles vivantes et d'analyser leur évolution.

    Au cours de cette longue expérience qui représente aujourd'hui plus de 55.000 générations (ce qui, à l'échelle humaine, correspond à près de deux millions d'années), les chercheurs ont identifié une population de bactéries dont la capacité à produire des mutations a centuplé. Elle est ce que les généticiensgénéticiens appellent une population hypermutatrice, d'autant plus que son taux de mutations continue d'augmenter...

    Colonies provenant d'une souche hypermutatrice d'<em>Escherichia coli</em>. Près de 171 clones bactériens ont été étudiés depuis 1988.  © UJF

    Colonies provenant d'une souche hypermutatrice d'Escherichia coli. Près de 171 clones bactériens ont été étudiés depuis 1988.  © UJF

    Un taux de mutation élevé quand il faut s’adapter

    En pratique, les chercheurs ont séquencé l'intégralité du génome bactérien à différents temps au cours de l'évolution (171 clones bactériens au total). Les données ont été intégrées à la plateforme MicroScopeMicroScope, développée au Génoscope, et comparées au génome de l'ancêtre. Après 20.000 générations, ils ont observé une augmentation très importante du nombre de mutations, la population étant devenue hypermutatrice. En effet, d'une moyenne d'environ 40 à 50 mutations par génome à 20.000 générations, les bactéries sont passées à une moyenne de plus de 700 mutations à 40.000 générations. Mais le plus étonnant est que cette évolution s'est produite en plusieurs étapes avec une augmentation massive du taux de mutation suivie d'une diminution.

    L'équipe de Dominique Schneider a pu décrypter les mécanismes moléculaires mis en jeu dans ce processus multi-étapes, en analysant la séquence des génomes entiers de ces bactéries. Au niveau évolutif, cette population bactérienne est passée successivement d'une étape où le taux de mutation était élevé, ce qui lui a permis de s'adapter à son environnement, à une étape où le taux de mutation a diminué mais est resté à un niveau intermédiaire, ce qui lui a permis de poursuivre son adaptation en conservant une probabilité plus élevée de produire des mutations bénéfiques, tout en réduisant la proportion de mutations néfastes.

    Grâce à cette expérience d'évolution en tube à essaitube à essai dévoilée dans la revue Pnas, les chercheurs ont pu comprendre les différentes étapes qui président in vivoin vivo à l'apparition de bactéries mutantes. De telles bactéries hypermutatrices sont connues pour être associées à de graves problèmes de santé publique, comme l'apparition de maladies nosocomiales et de bactéries multi-résistantes aux antibiotiques, ou de certains types de tumeurs chez les eucaryoteseucaryotes. Les scientifiques espèrent que le décryptage de ce processus au niveau de génomes entiers va permettre de modéliser le comportement des bactéries pathogènespathogènes, de contrôler leurs capacités d'adaptation, et, à terme, de développer de nouveaux outils thérapeutiques pour faire face aux infections bactériennes.