La vision d'un cerveau où les grandes fonctions sont traitées dans des zones précises est mise à mal. En analysant avec de nouveaux outils trois cas historiques, des chercheurs suggèrent que le comportement social, le langage et la mémoire dépendent de l’activité coordonnée de différentes régions.

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    La célèbre aire de Broca, associée au langage grâce à l'analyse des effets d'une lésion dans un cas pathologique, une méthode classique pour l'étude des fonctions du cerveau. Pourtant, ces dernières ne seraient pas localisées à ce point mais portées par des interconnexions plus larges. © Université de Montpellier

    La célèbre aire de Broca, associée au langage grâce à l'analyse des effets d'une lésion dans un cas pathologique, une méthode classique pour l'étude des fonctions du cerveau. Pourtant, ces dernières ne seraient pas localisées à ce point mais portées par des interconnexions plus larges. © Université de Montpellier

    Les neurosciences modernes sont fondées sur l'idée que la plupart des fonctions cognitives sont liées à l'activité de régions très localisées du cerveau. Michel Thiebaut de Schotten et ses collaborateurs de l'Institut du cerveau et de la moelle épinière sont revenus sur l'analyse des trois patients les plus connus de la neurologie comportementale en étudiant les dommages de leurs connexions cérébrales, grâce à la reconstitution en trois dimensions des lésions.

    Phineas Gage, contremaître des chemins de ferfer, a le cerveau transpercé par une barre à mine le 13 septembre 1848, ce qui provoque des dommages du lobe frontal gauche. Malgré la gravitégravité apparente de la blessure, il survit. Cependant, depuis cet accident, « il n'est plus lui-même » et présente des troubles du comportement : de sérieux et attentionné, il devient instable, asocial, irrationnel et incapable de ressentir des émotions. Depuis l'étude de ce cas, les émotions et le contrôle du comportement sont associés au cortexcortex orbitofrontal.

    Daguerréotype de Phineas P. Gage (1823–1860) posant avec la barre à mine qui lui a traversé le crâne. © EEng, Wikipédia Commons, CC BY-SA 3.0

    Daguerréotype de Phineas P. Gage (1823–1860) posant avec la barre à mine qui lui a traversé le crâne. © EEng, Wikipédia Commons, CC BY-SA 3.0

    L'aire de Broca revisitée

    Louis Victor Leborgne perd la capacité de parler à l'âge de 30 ans et ne peut prononcer que la syllabe « tan ». C'est en pratiquant son autopsieautopsie que son médecin, Paul Broca, découvre une lésion dans le cortex frontal inférieur gauche, siège de la région cérébrale responsable, baptisée aire de Broca.

    Enfin, Henry Molaison devient amnésique à la suite d'une intervention chirurgicale consistant à lui retirer une large portion des deux hippocampeshippocampes. Il est incapable de mémoriser de nouveaux événements. Ainsi, la mémoire déclarative a été associée avec des structures du lobe temporaltemporal médian.

    Pour la première fois, Michel Thiebaut de Schotten et ses collaborateurs ont pu explorer les grandes connexions cérébrales qui ont été endommagées chez ces patients célèbres. Ils ont reconstitué leurs lésions et ont cartographié les connexions entre les différentes régions en se référant à un atlas du cerveau humain en trois dimensions.

    Les voies du cerveau endommagées dans les trois cas historiques étudiés. © M. Thiebaut de Schotten (avec l’autorisation d’<em>Oxford University Press</em>)

    Les voies du cerveau endommagées dans les trois cas historiques étudiés. © M. Thiebaut de Schotten (avec l’autorisation d’Oxford University Press)

    La coordination de différentes régions du cerveau mise en exergue

    Les résultats obtenus par une technique d'imagerie des connexions cérébrales (tractographie IRMIRM) dans la reconstitution des cerveaux de ces trois patients, amènent à une révision essentielle de notre compréhension du Phineas Gage. Ils indiquent que les fonctions affectées chez ces trois patients n'étaient probablement pas seulement dues à la lésion initialement rapportée, mais également à l'interruption de certaines connexions cérébrales profondes provoquant des dysfonctionnements cérébraux à distance de la lésion. Le dysfonctionnement du réseau cérébral est donc un dénominateur commun aux désordres cérébraux étudiés.

    Ainsi les résultats de cette étude, publiée dans la revue Cerebral Cortex, suggèrent que le comportement social, le langage et la mémoire dépendent de l'activité coordonnée de différentes régions du cerveau plutôt que de zones circonscrites dans les lobes frontaux ou temporaux.