La réduction de la population d’une espèce carnivore peut provoquer l’extinction d’autres espèces carnivores. La relation proie-prédateur est semble-t-il plus compliquée qu’on le croyait jusqu’à présent…

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    L'orque est au plus au niveau trophique. C'est l'un des superprédateurs marins, consommateur de poissons et de mammifères. D'après cette étude, s'il venait à disparaître, il se pourrait que d'autres prédateurs comme le requin blanc disparaissent à leur tour. © Robert Pitman, DP

    L'orque est au plus au niveau trophique. C'est l'un des superprédateurs marins, consommateur de poissons et de mammifères. D'après cette étude, s'il venait à disparaître, il se pourrait que d'autres prédateurs comme le requin blanc disparaissent à leur tour. © Robert Pitman, DP

    Dans le réseau trophique, une extinction primaire conduit souvent à la disparition d'espèces secondaires, mais de façon assez inattendue. Actuellement, les écologues évaluent la vulnérabilité d’une espèce et son impact sur une extinction en cascade d'autres espèces à l'aide de modèles. Ces derniers considèrent toutefois uniquement le lien entre niveaux trophiques primaire et secondaire. Ils ne prennent donc pas en compte les effets d'extinction à des niveaux trophiques supérieurs.

    La relation proie-prédateur est complexe. S'il n'y a plus de proie, le prédateur disparaît. Mais si l'on ôte un prédateur, laissant les proies se développer, que se passe-t-il pour les prédateurs similaires ? Une équipe de l'université d'Exeter, en collaboration avec l'université de Bern, a récemment mené une étude sur la question. Ils montrent que réduire l'effectif de la population d'une seule espèce carnivore peut en amener d'autres à disparaître. Publiée dans la revue Ecology Letters, l'étude établit que l'évolution de la taille de la population peut créer un effet d'entraînement à travers les réseaux trophiques et avoir des conséquences pour d'autres animaux.

    S'il n'existait pas de mécanismes naturels de régulation, les prédateurs pourraient faire disparaître toutes leurs proies, puis disparaître eux-mêmes faute de nourriture. Mais la relation proie-prédateur dépend aussi des autres espèces. Ici, le rouge-gorge est le prédateur, et le ver de terre la proie. © Rasbak, GNU

    S'il n'existait pas de mécanismes naturels de régulation, les prédateurs pourraient faire disparaître toutes leurs proies, puis disparaître eux-mêmes faute de nourriture. Mais la relation proie-prédateur dépend aussi des autres espèces. Ici, le rouge-gorge est le prédateur, et le ver de terre la proie. © Rasbak, GNU

    Le puceron se développe, mais la guêpe disparaît

    L'équipe helvético-britannique a créé des écosystèmes expérimentaux. Ils étaient constitués de trois espèces de guêpes invasives ainsi que des trois espèces de puceronspucerons dont chacune se nourrit. Les chercheurs ont ainsi fabriqué quatre cuves comprenant six espèces qu'ils ont d'abord laissées évoluer durant huit semaines. Les 14 semaines suivantes (ce qui correspond à sept cycles de reproduction d’insectes), une partie des guêpes a été retirée dans trois des cuves. Ces enceintes se sont donc retrouvées avec deux espèces de guêpes chacune. Dans la quatrième, aucune espèce n'a été retirée. 

    La suppression partielle d'une espèce de guêpes a conduit indirectement à l'extinction des autres. En l'absence d'une espèce, la population de sa proie (donc un des trois pucerons) grandit. Or, les trois espèces de pucerons s'alimentent sur la même plante. Il y a donc eu une intensification de la concurrence pour la nourriture. Celle-ci a conduit à des changements dans la taille des populations de pucerons. Toutefois, aucune espèce de pucerons ne s'est éteinte, et la population des deux autres espèces de guêpes a diminué.

    Un écosystème expérimental qui s’adapterait à tous

    Les extinctions indirectes de guêpes ne sont donc pas le résultat de l'extinction de leur proie. L'équipe pense qu'au contraire, il est probable que les guêpes se sont éteintes parce qu'elles ont eu du mal à trouver leurs proies parmi tous les pucerons.

    Le chercheur Frank van Veen, principal auteur de l'article, explique que « le système d'insectesinsectes est très pratique pour l'expérimentation, mais les mêmes principes s'appliquent à tout les écosystèmes, des mammifèresmammifères du parc national du Serengeti en Tanzanie aux poissonspoissons de nos mers. Cela montre clairement que nous devons avoir une approche écosystémique de la conservation et de la gestion des stocks de poissons par exemple. »

    Cette étude vient consolider l'idée que pour réguler la conservation des espèces, il ne faut pas considérer une seule espèce, mais au contraire différents niveaux trophiques. Il faut donc avoir une vision d'ensemble, englobant les espèces dans un écosystème tout entier. C'est une notion particulièrement importante, qu'il faudrait considérer par exemple dans la gestion de la pêche.