Des scientifiques ont placé des « boîtes noires » et des caméras sur de jeunes frégates du Pacifique. L'objectif était de comprendre comment des oiseaux qui ne peuvent se poser sur l’eau apprennent à vivre au-dessus de la mer. Réponse : ils suivent les vents, contournent les tempêtes, plongent dans les cumulus, exploitent les ascendances et surveillent les thons et les dauphins pour gober les poissons volants. La découverte a surpris les chercheurs, comme nous l’explique l’un d’eux. Un film a été réalisé sur cette aventure animale, dont un extrait est en accès libre.

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    Personne ne savait ce qu'il advenait des jeunes frégates du Pacifique, ces grands oiseaux marins, quand ils s'envolaient pour la première fois et s'éloignaient de leur île, Europa, dans le canal du Mozambique, entre Madagascar et l'Afrique. Les adultes migrent vers les Seychelles ou les Maldives mais que font les juvéniles, qui s'en vont et reviennent ? Combien de temps volent-ils ? Comment se nourrissent-ils ? Quelle est leur dépense énergétique ?

    Pour le savoir, une équipe du centre d'Études biologiques de Chizé et de l'unité EntropieEntropie (université de la Réunion) a équipé de capteurscapteurs plusieurs dizaines de juvéniles de cette île, avant leur premier vol. « Certains oiseaux - une soixantaine - ont reçu une balise ArgosArgos, pour suivre les déplacements. Les autres - une trentaine - étaient équipés d'un GPSGPS, mesurant aussi l'altitude, d'un accéléromètreaccéléromètre à trois axes, qui permet de mesurer la fréquence cardiaque et des battements d'ailes, et d'un thermomètre », explique Henri Weimerskirch, l'un des chercheurs de l'équipe.

    Une jeune frégate lâchée avec une balise Argos, transmettant la position par satellite. Elle pèse à peine 10 g. D'autres oiseaux ont reçu un GPS avec accéléromètre et thermomètre, pour un poids de 20 g. Ces capteurs ne sont pas récupérés. Les informations enregistrées durant le vol sont automatiquement déchargées par radio quand la frégate revient à son point de départ, sur l'île Europa. © Aurélien Prudor, CNRS-CEBC

    Une jeune frégate lâchée avec une balise Argos, transmettant la position par satellite. Elle pèse à peine 10 g. D'autres oiseaux ont reçu un GPS avec accéléromètre et thermomètre, pour un poids de 20 g. Ces capteurs ne sont pas récupérés. Les informations enregistrées durant le vol sont automatiquement déchargées par radio quand la frégate revient à son point de départ, sur l'île Europa. © Aurélien Prudor, CNRS-CEBC

    L'art de la navigation aérienne au-dessus de la mer

    C'est la première fois qu'est réalisé un tel suivi sur des oiseaux migrateurs marins. Résultats : de grosses surprises. Depuis longtemps, ces grands oiseaux étonnent. Ce sont de bons voiliers, à coup sûr : les frégates du Pacifique (Fregata minor) mesurent 2,30 m d'envergure pour un poids de seulement 1,2 kgkg, « le meilleur rapport de tous les oiseaux ». Mais avec de telles mensurations, le vol doit être plus difficile que celui des martinets lors de leur très longue migration entre Europe et Afrique. Leur mode de vie est lui-même surprenant : le plumage de ces oiseaux de mer n'est pas étanche et ne leur permet pas de toucher l'eau. Il leur faut capturer leurs proies juste sous la surface... ou au-dessus quand ce sont des poissons volants. Pour cela, ils savent repérer les groupes de thons ou de dauphins qui les font jaillir de la surface...

    Cependant, les chercheurs ne s'attendaient pas à ce que les juvéniles partent aussi loin et aussi longtemps. Certains ont volé sans interruption durant plus de deux mois. Leur stratégie de navigation aérienne consiste à suivre les vents dominants, ce qui leur permet d'éviter la zone équatoriale, riche en tempêtes et en nuagesnuages bas, le « pot-au-noir » comme disent souvent les marins. Le principe est bon mais conduit à faire le tour complet de l'océan Indien, soit bien plus de dix mille kilomètres.

    Les capteurs permettent de compter les battements d'ailes mais aussi, comme on le voit ici, les mouvements cardiaques. Cette image est extraite d'une vidéo présentant le film <em><a href="http://webcast.in2p3.fr/player/577663e41891d" title="Extrait d&#039;Independance Days, sur les traces des jeunes prédateurs marins" target="_blank">Independence days, sur les traces des jeunes prédateurs marins</a></em>, primé par le Conseil européen de la recherche (ERC). © Henri Weimerskirch et Aurélien Prudor

    Les capteurs permettent de compter les battements d'ailes mais aussi, comme on le voit ici, les mouvements cardiaques. Cette image est extraite d'une vidéo présentant le film Independence days, sur les traces des jeunes prédateurs marins, primé par le Conseil européen de la recherche (ERC). © Henri Weimerskirch et Aurélien Prudor

    Il faut savoir dormir en vol

    Durant ce long vol, ils profitent des ascendances pour grimper et, lorsqu'elles manquent, ils n'hésitent pas à aller les chercher à l'intérieur même des cumulus, ces nuages riches en fortes turbulencesturbulences qui bourgeonnent parfois en nuages d'oragesorages. Les autres oiseaux et les pilotes de planeursplaneurs tournoient dessous mais jamais dedans. « Ils grimpent jusqu'à 4.000 m, à des altitudes où la température est négative. Pourtant, ils n'ont pas de duvet pour se protéger du froid. Ce sont des animaux tropicaux ! »

    Comment font-ils ? La réponse reste mystérieuse. Mais les chercheurs, qui publient leurs résultats dans la revue Science, ont déterminé que les battements d'ailes sont rares. Ils passent de longs moments en plané, soit en descente, soit portés vers le haut dans les ascendances. Cela signifie qu'ils dépensent peu d'énergieénergie et qu'ils se reposent en vol, durant plusieurs minutes. Les enregistreurs rapportent des périodes d'inactivité totale. On sait que les martinets, eux aussi, dorment ainsi mais personne n'a pu leur faire un électrocardiogrammeélectrocardiogramme.

    Cette histoire scientifique a été racontée dans un film grand public, Independence days, sur les traces des jeunes prédateurs marins, un film d'Aurélien Prudor et Henri Weimerskirch. Il a été présenté au concours de Early Life, un projet de recherche financé par le Conseil européen de la recherche (ERC) et y a été primé. Un extrait est visible sur InternetInternet, à cette adresse.