Tiré par ses antennes comme un chien en laisse, l’énorme cafard se laisse guider sans réaction par la petite guêpe, qui le mène à une mort certaine – et affreuse. On vient de comprendre comment elle s’y prend : à l’aide d’une injection dans le cerveau, le petit insecte transforme le gros en robot !

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    Ici, c’est le petit qui l’emporte sur le gros, grâce à la ruse et à la biochimie. © Frederic Libersat

    Ici, c’est le petit qui l’emporte sur le gros, grâce à la ruse et à la biochimie. © Frederic Libersat

    Le phénomène avait été observé et décrit depuis longtemps. La guêpe parasite Ampulex compressa, qui vit en région tropicale (de l'Afrique au Pacifique en passant par l'Asie), s'attaque à plusieurs espèces de blattes, dont elle se sert pour nourrir ses larves. De nombreux insectes pratiquent ce genre d'emplettes destinées à leurs rejetons ou pour leur consommation personnelle. Mais en général la proie est tuée ou paralysée avant d'être tractée vers le nid, à moins que la victime ne soit utilisée sur place, l'insecte la mangeant tout de suite ou y pondant ses œufs.

    La petite guêpe Ampulex a, elle, trouvé un moyen pour guider sans effort vers son nid de belles blattes grassouillettes, plusieurs fois plus grosses qu'elle. On avait bien vu que la guêpe piquait l'infortuné dictyoptère avant de le tirer par ses antennes. Mais on ne comprenait pas pourquoi la blatte devenait aussi docile. « Elle marche comme un chien en laisse » rapporte Frederic Libersat, de l'Université Ben-Gurion du Negev (Israël), qui a conduit l'étude. Parvenue au nid, Ampulex compressa lâche l'antenne et la blatte reste là, parfaitement immobile, sans réaction aucune, même quand les larves, pondues sur son ventre par la guêpe, commencent à la dévorer.

    Du neuromédiateur au libre arbitre

    Une observation méticuleuse montre que la guêpe pique non pas une fois mais deux. La première attaque anesthésieanesthésie légèrement la blatte, permettant à la guêpe de pratiquer la seconde injection, très précise, pile dans le cerveaucerveau (dans les ganglionsganglions céphaliquescéphaliques préfèrerait dire un biologiste). La proie devient alors totalement incapable de mouvementsmouvements volontaires et ne se met en marche que lorsqu'on la tire.

    Dans la revue Journal of Experimental Biology, Frederic Libersat et ses deux collègues montrent que la substance injectée bloque l'action de l'octopamine, un neuromédiateurneuromédiateur connu pour être impliqué dans les comportements complexes. Leur double expérience ne laisse pas planer le doute. En administrant à la blatte robotisée un activateur des récepteurs à octopamine, ils la remettent en marche, lui faisant retrouver toutes ses facultés intellectuelles et son libre arbitre. A l'inverse, en injectant à un cafard en pleine forme un composé bloquant ces récepteurs, les scientifiques obtiennent le même résultat que la guêpe, transformant l'insecte en zombie.

    Voilà de quoi mieux comprendre le fonctionnement du système nerveux des insectes. On espère seulement que cette découverte ne donnera pas d'idées saugrenues d'applications chez les vertébrésvertébrés...