Des gènes provenant de guêpes parasites seraient présents dans le génome de nombreux papillons. Acquis par l’intermédiaire de virus associés aux guêpes, ils serviraient d’antidote aux papillons pour se protéger contre d’autres virus. Les papillons constitueraient donc, en quelque sorte, des OGM produits naturellement au cours de l’évolution.

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    Les papillons comme le monarque contiennent dans leur ADN des gènes provenant des guêpes qui les parasitent et constituent en quelque sorte des OGM produits naturellement par les virus de ces guêpes. Un phénomène représenté symboliquement ici par les couleurs fluorescentes surimposées sur les papillons. © IRBI-CNRS, Corentin Drezen

    Les papillons comme le monarque contiennent dans leur ADN des gènes provenant des guêpes qui les parasitent et constituent en quelque sorte des OGM produits naturellement par les virus de ces guêpes. Un phénomène représenté symboliquement ici par les couleurs fluorescentes surimposées sur les papillons. © IRBI-CNRS, Corentin Drezen

    Des échanges de gènesgènes peuvent-ils se produire entre espèces éloignées ? La réponse pourrait bien être oui selon des chercheurs de l'Institut de recherche sur la biologie de l'insecte (IRBI, CNRS, université de Tours) et de l'université de ValenceValence. Leurs travaux publiés le 17 septembre dans PLOS Genetics portent sur l'étude de guêpes de la famille des braconides, sur le bracovirus qui leur est associé ainsi que sur certaines espèces de papillons.

    Pour se reproduire, les guêpes de la famille des braconides doivent pondre leurs œufs dans des chenilles qui servent à l'alimentation des larves pendant leur développement et jusqu'à leur maturité. Pourvues d'un système de défense efficace qui forme une capsule de cellules immunitaires autour d'un corps étranger, ces chenilles hôtes constituent un milieu hostile pour les larves. Pour contourner ces défenses, les guêpes injectent au moment de leur ponte, des particules nommées bracovirus qui pénètrent dans les cellules de la chenille. Les gènes qu'ils portent sont exprimés par l'hôte et induisent une immunosuppression et le contrôle du développement de la chenille, permettant aux larves de coloniser cet hôte.

    Les bracovirus sont des « virus géants » munis d'un génomegénome complexe formé de dizaines de cercles d'ADNADN double brindouble brin (totalisant plus de 800 kilobaseskilobases) et comprenant plusieurs centaines de gènes. On savait depuis quelques années que ces cercles d'ADN étaient capables de s'intégrer dans celui des chenilles parasitées, mais le développement des chenilles est arrêté par le virus au cours du parasitisme, elles ne produisent donc pas de descendants qui pourraient transmettre des ADN viraux intégrés dans leurs cellules reproductrices.

    Dans leurs travaux, les chercheurs viennent de montrer que des restes de cercles de bracovirus peuvent être détectés dans le génome de nombreuses espèces de papillons comprenant le Monarque (Danaus plexippus), une espèce très prisée par les naturalistes pour ses migrations spectaculaires, le vers à Soie (Bombyx moriBombyx mori) et des insectes ravageurs comme le légionnaire d'automne (Spodoptera frugiperda) et la noctuelle exiguë (Spodoptera exigua). Une hypothèse proposée pour expliquer ce paradoxe est que les guêpes parasites attaquent à l'occasion des chenilles qui ne sont pas leur hôte naturel, entrainant l'échec du parasitisme, mais aurait comme conséquence fortuite l'intégration de séquences virales dans l'ADN de ces lépidoptèreslépidoptères.

    Des restes de cercles de bracovirus peuvent être détectés dans le génome de nombreuses espèces de papillons comme le Monarque (<em>Danaus plexippus</em>). © Derek Ramsey, Wikimedia, GNU Free Documentation License version 1.2

    Des restes de cercles de bracovirus peuvent être détectés dans le génome de nombreuses espèces de papillons comme le Monarque (Danaus plexippus). © Derek Ramsey, Wikimedia, GNU Free Documentation License version 1.2

    Transfert de gènes interespèces

    Les séquences de bracovirus identifiées ne sont pas uniquement des reliques, mais comprennent des gènes maintenus actifs par les papillons : ils sont exprimés par les chenilles et portent les traces d'une sélection toujours opérante, ce qui suggère qu'ils apportent aujourd'hui une fonction physiologique aux lépidoptères. Leur domesticationdomestication a été favorisée par le fait que ces gènes sont exprimés par les chenilles au cours du parasitisme et ont donc d'emblée tous les signaux de régulation nécessaires pour être utilisables par celles-ci.

    Deux de ces gènes ont été étudiés plus en détail et les résultats suggèrent qu'ils exercent un rôle protecteur contre d'autres virus très présents dans la nature : les baculovirus, connus pour leur utilisation en lutte biologique contre les chenilles. Il est possible que la fonction de ces gènes avant leur domestication par les lépidoptères était de protéger la chenille parasitée contre les baculovirus, car lors du parasitisme, la mort de la chenille hôte du fait de l'infection par ce virus se traduit également par celle de son parasiteparasite.

    Il faut noter que la « domestication » de gènes apportés par le bracovirus ne se limite pas à des gènes proprement viraux contrairement aux exemples décrits pour d'autres virus. En effet, les bracovirus sont des virus endogènesendogènes indissociablement associés aux guêpes parasites depuis environ 100 millions d'années et les gènes présents sur les cercles de bracovirus proviennent pour une large part de la guêpe elle-même. Il existe donc un flux de gènes entre hyménoptère et lépidoptère par l'intermédiaire des bracovirus qui est particulièrement identifiables dans le cas des lectines de type C, des moléculesmolécules généralement impliquées dans la reconnaissance de pathogènespathogènes. En effet, chez les différentes espèces de légionnaires on trouve un groupe de gènes de lectines beaucoup plus proches de ceux des hyménoptères y compris de l'abeille que de ceux des lépidoptères.

    Arbre phylogénétique des bracovirus-lectine comme les protéines provenant de différentes espèces de Spodoptera et de leurs homologues de bracovirus des hyménoptères, lépidoptères et diptères. © 2015 Gasmi <em>et al., PLOS Genetics</em>

    Arbre phylogénétique des bracovirus-lectine comme les protéines provenant de différentes espèces de Spodoptera et de leurs homologues de bracovirus des hyménoptères, lépidoptères et diptères. © 2015 Gasmi et al., PLOS Genetics

    Vers la « fabrication » de guêpes parasites OGM ?

    Comme il existe des dizaines de milliers d'espèces de guêpes parasitant la quasi totalité des espèces de lépidoptères, ayant chacune son propre bracovirus pourvu d'un assortiment différent de gènes de guêpes, il est très probable que le phénomène d'acquisition de gènes décrit est en fait tout à fait général et que des transferts de gènes variés se produisent régulièrement dans la nature.

    Outre l'intérêt évident de cette notion pour les sciences de l'évolution, il est important d'être conscient de ce risque de transfert de gènes, si l'on envisage de fabriquer des guêpes parasites OGM. En effet, il existe une possibilité pour les gènes qui seraient introduits artificiellement dans des espèces utilisées pour le contrôle biologique de « passer » dans le génome des ravageurs et ceci doit être pris en compte dès la conception éventuelle de ces OGM (organismes génétiquement modifiésorganismes génétiquement modifiés). Par ailleurs il serait intéressant de voir si ce phénomène de transfert de gènes via les guêpes parasites pourrait conférer aux ravageurs des protections contre d'autres agents pathogènes viraux, bactériens ou fongiques et ainsi rendre inefficaces l'utilisation de ceux-ci pour la lutte biologique.