La fragmentation d’un écosystème naturel consiste en la division du paysage (bois, plaines, forêts…) en lieux plus petits et isolés, séparés par des paysages transformés par l’Homme (champs agricoles, villes, canaux, etc.). Une étude à grande échelle révèle que ce processus est une véritable bombe à retardement : la division des habitats naturels aura des effets négatifs à long terme non seulement sur la biodiversité des écosystèmes mais aussi sur leur fonctionnement. Contrairement à ce que pensaient les biologistes jusqu’à maintenant, les conséquences les plus visibles des fragmentations en cours ne seront détectables que dans 15 à 20 ans…

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    La déforestation, comme ici en Guyane, dans le secteur de Kourou, favorise la fragmentation des écosystèmes. Cette dernière fait régresser le milieu forestier et empêche la dispersion de certaines espèces d’oiseaux. © CNRS Photothèque, Biogéosciences-Dijon, Fabrice Monna

    La déforestation, comme ici en Guyane, dans le secteur de Kourou, favorise la fragmentation des écosystèmes. Cette dernière fait régresser le milieu forestier et empêche la dispersion de certaines espèces d’oiseaux. © CNRS Photothèque, Biogéosciences-Dijon, Fabrice Monna

    Pour cette étude de grande envergure, une équipe internationale a d'abord analysé l'évolution du couvert forestier terrestre en se basant sur des données satellitaires mondiales. Cette équipe est composée d'une trentaine de scientifiques issus de sept pays (France, États-Unis, Canada, Brésil...) et menés par un consortium international de chercheurs, comprenant Jean Clobert de la Station d'écologie expérimentale du CNRS à Moulis (Ariège).

    Leurs résultats sont alarmants : ils révèlent que dans plus de 70 % des cas, où que l'on soit dans la forêt, la lisière (limite entre deux milieux, par exemple entre une forêt et une prairie, une clairière, une plage...) se situe à moins d'un kilomètre. La lisière présente des conditions microclimatiques et écologiques particulières et parfois des micro-habitats spécifiques, favorables ou au contraire défavorables aux espèces des milieux adjacents. Elle est pour cette raison, soumise à une dynamique écopaysagère propre. On parle d'« effet-lisière » (ou « effet-bordure ») qui induit tout un ensemble d'effets négatifs notamment sur les espèces originelles dont le nombre peut chuter à la faveur, entre autres, de l'arrivée d'espèces envahissantesespèces envahissantes.

    Le Métatron est un des sept dispositifs expérimentaux grâce auxquels les auteurs de l’étude ont pu obtenir des données pour leur analyse des effets de la fragmentation sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes. Cet équipement unique au monde dépend de la Station d’écologie expérimentale du CNRS de Moulis. Il est implanté en Ariège. © CNRS Photothèque, Quentin Benard (photo de gauche), Dominique Joly (photo de droite)

    Le Métatron est un des sept dispositifs expérimentaux grâce auxquels les auteurs de l’étude ont pu obtenir des données pour leur analyse des effets de la fragmentation sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes. Cet équipement unique au monde dépend de la Station d’écologie expérimentale du CNRS de Moulis. Il est implanté en Ariège. © CNRS Photothèque, Quentin Benard (photo de gauche), Dominique Joly (photo de droite)

    Réduction de la biodiversité de 13 à 75 %

    L'équipe a ensuite étudié les données recueillies de 10 expériences de fragmentations à long terme, dont certaines sont en cours depuis plus de 35 ans. Celles-ci sont menées sur des espaces grandeur nature sur divers types d'écosystèmes (forêts, plaines...). Les chercheurs se sont surtout intéressés à l'évolution du nombre d'espèces vivant sur ces parcelles au fil des années. Là encore, le constat est inquiétant. La fragmentation, notamment due à la déforestation dans les régions tempérées et tropicales, réduit la biodiversité de 13 à 75 % et détériore des fonctions clés des écosystèmesécosystèmes comme le recyclage de la matière organique.

    Les effets sont plus marqués dans les fragments les plus petits et les plus isolés et s'amplifient avec le temps. « Plus que jamais, il est urgent d'adopter des mesures de conservation et de restauration des milieux naturels confrontés à la fragmentation. Cela est crucial pour endiguer les problématiques d'extinctions d'espèces et maintenir le bon fonctionnement des écosystèmes », insiste Jean Clobert, directeur de la Station d’écologie expérimentale du CNRS à Moulis.

    Afin de déterminer plus rapidement les causes des effets à long terme de la fragmentation (en 2-3 ans contre 15 à 20 ans) et d'étudier l'interaction entre fragmentation et réchauffement climatiqueréchauffement climatique, les chercheurs préconisent l'utilisation de modèles de fragmentations plus petits que les expérimentations grandeur nature. Le modèle « Métatron », développé par l'équipe de Jean Clobert sur la Station d'écologie du CNRS à Moulis, fera partie des outils expérimentaux choisis pour prévoir ces effets à long terme.