Une chenille herbivore causerait sa propre perte en attirant son prédateur. Les signaux de secours émis par la plante seraient en effet plus efficaces en présence de la chenille. Une étonnante stratégie qui illustre la variété des moyens de défense des végétaux.

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    Rencontre entre la chenille Manduca sexta et la punaise Geocoris sur une feuille de Nicotiana attenuata. © Matthey Film

    Rencontre entre la chenille Manduca sexta et la punaise Geocoris sur une feuille de Nicotiana attenuata. © Matthey Film

    Les plantes semblent impuissantes contre les attaques d'herbivores mais ce n'est qu'une impression car elles ont bien plus d'un tour dans leur sac ! De nombreuses recherches montrent que, malgré l'absence de système nerveux, les plantes repèrent souvent un danger qui les menace. Certaines, si ce n'est toutes, ont adopté des stratégies ingénieuses pour se protéger ou même attaquer.

    Certaines font fuir les prédateurs en émettant des huiles essentielles aux propriétés insecticides ou insectifuges (thym, lavandelavande) ou des terpènesterpènes qui luttent contre les herbivores à quatre pattes (menthe). Les plantes peuvent aussi modifier leur goût, arborant une amertume récalcitrante pour les herbivores. C'est le cas des acacias qui, de plus, synthétisent de l'éthylèneéthylène (une moléculemolécule volatile) pour inciter les arbres voisins à produire à leur tour des taninstanins qui les protégeront des girafes affamées.

    Une espèce proche du tabac, Nicotiana attenuata, a également mis au point une stratégie efficace. La plante est attaquée par la chenille Manduca sexta qui, sous sa forme papillon, est appelée Sphinx du tabac. Lorsqu'elle est dévorée, la plante émet un signal chimique volatile destiné à recruter une punaise appartenant au genre des Geocoris, un prédateur de la chenille.

    Habituellement, la synthèse des composés volatiles des feuilles vertes (GLV, pour green leafy volatiles) par les plantes suite à une agression n'est pas suffisamment rapide pour être réellement protectrice (il faut quelques heures). Un temps de réaction trop long peut en effet être dommageable pour le prédateur qui, quand il arrive finalement, constate que sa proie bien repue a déjà quitté les lieux. Dans ces conditions, la punaise qui ne trouve plus son compte, n'a plus d'intérêt à être attirée par de nouveaux signaux en provenance de la plante.

    Illustration d'une des expériences menée par les chercheurs du <em>Max Planck Institute for Chemical Ecology</em> : les œufs de chenille sont déposés sur une feuille de <em>Nicotiana attenuata</em>, en présence d'un mélange de GLV de forme Z et E, et la venue de la punaise prédatrice est observée. © <em>Max Planck Institute for Chemical Ecology</em> / Danny Kessler

    Illustration d'une des expériences menée par les chercheurs du Max Planck Institute for Chemical Ecology : les œufs de chenille sont déposés sur une feuille de Nicotiana attenuata, en présence d'un mélange de GLV de forme Z et E, et la venue de la punaise prédatrice est observée. © Max Planck Institute for Chemical Ecology / Danny Kessler

    La chenille trahie par sa salive

    Nicotiana attenuata bénéficie d'un moyen d'accélérer sa production de GLV, et ce grâce à la participation, certainement involontaire... de la chenille elle-même. Des chercheurs du Max Planck Institute for Chemical Ecology à Iéna en Allemagne, ont étudié les composants chimiques sécrétés par la plante et les résultats sont publiés dans le journal Science. Ils ont montré que ces GLV sont sécrétés sous deux formes, les isomèresisomères Z et E (même composition chimique, mais deux configurations différentes). Lorsque la feuille est coupée par exemple par un couteau, la forme Z est largement majoritaire. Etonnamment, lorsque c'est la chenille qui endommage la plante, les formes E et Z sont retrouvées en quantités équivalentes.

    La nature est bien faite (moins du point de vue de la chenille) puisque ce deuxième ratio est plus séduisant pour le prédateur. Pour le déterminer, les chercheurs ont enduit les feuilles d'une pâte contenant différents ratio de GLV et y ont déposé des œufs de chenille. L'efficacité d'attraction de la punaise (calculée par le nombre d'œufs dévorés) est meilleure lorsque la quantité d'isomères E est élevée.

    Les scientifiques ont alors cherché à comprendre le mécanisme induisant la modification du ratio des isomères mais, ne trouvant pas la réponse chez la plante, ils se sont tournés vers la chenille. De manière surprenante, un composant de la salivesalive de la chenille est capable de produire l'isomère E à partir de l'isomère Z. En faisant jouer ce mécanisme, la chenille met donc sa vie en péril.

    Au départ incrédules, les scientifiques supposent maintenant que la chenille y trouve néanmoins un avantage. Par exemple, l'isomère E pourrait peut-être éliminer certaines bactériesbactéries contenues dans le tube digestiftube digestif de l'insecte. Des études sont en cours pour mieux comprendre le comportement pour le moins kamikaze des chenilles. Quoi qu'il en soit, les interactions entre plantes et insectes n'ont pas fini de nous étonner.