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Claude Aslangul

Claude Aslangul

Enseignant-Chercheur en Physique et Mathématiques appliquées

Ayant participé récemment à des enregistrements vidéo organisés par De Boeck pour répondre à des questions de physique posées par des internautes, j'ai été frappé par la curiosité intellectuelle de ceux-ci mais aussi, parfois, dérouté par la maladresse de certaines formulations. La conclusion qui s'impose est la nécessité d'ouvrir davantage la science vers le grand public, quelle que soit la formation de celui-ci, non seulement pour répondre à des interrogations instinctives et légitimes  (Pourquoi la Lune ne tombe-t-elle pas sur la Terre?) mais aussi pour tenter de combler le fossé qui sépare les plus chanceux de ceux qui le sont moins. Aussi pour ne pas laisser aux seuls « experts » le droit de décider pour tous.

J'ai découvert l'existence de Futura-Sciences par hasard. L'anecdote en vaut la peine. L'un de mes proches m'a signalé une discussion sur ce forum entre certains de mes étudiants de l'époque qui n'arrivaient pas à se sortir d'un exercice figurant dans l'un de mes livres, l'un d'entre eux soupçonnant même que j'avais commis une erreur et se promettant de me la signaler lors du prochain cours (non, cette fois-là, je ne m'étais pas trompé).

Depuis, lorsque le temps le permet, j'y interviens, voulant absolument prendre ma petite part à une entreprise que je considère comme de première importance pour la diffusion du savoir, laquelle ne doit pas être cantonnée aux institutions éducatives, celles-ci n'étant pas toujours accessibles à tous et trop souvent prisonnières d'un carcan tenant à des causes multiples et pas toujours honorables.

Par le lien fort qu'il établit entre deux mondes, celui de ceux qui ont un peu de savoir et celui de ceux qui ont soif d'en avoir plus, Futura-Sciences participe à une oeuvre de salubrité publique. Je n'aurai pas de mots assez élogieux pour saluer et féliciter ceux qui ont pris l'initiative de créer ce qui est devenu une véritable et irremplaçable institution, que sa formule et ses exigences inlassablement répétées doivent mettre à l'abri de tous les faux-semblants, de toutes les dérives et de tous les conservatismes.

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Biographie

La voie qui conduit au métier de chercheur est parfois rectiligne, succession d'étapes où brillent les succès scolaires fulgurants, ordonnés suivant une parfaite rationalité, chacun appelant le suivant. La mienne fut tout autre, attiré dès le plus jeune âge vers ce que l'on appelait alors les humanités, passionné par la littérature et les langues dites mortes, emporté par les voyages lointains auxquels convie la lecture des classiques, fasciné par ces hommes et ces femmes qui, du fond des âges, nous ont laissé des écrits sur lesquels le temps n'a pas de prise et qui, parfois, vous marquent au ferfer rouge.

La bifurcationbifurcation tardive vers les sciences (après un bref épisode où seule la musique comptait) ne fut pas sans douleurdouleur mais elle eut lieu sans réelle difficulté grâce à un professeur de mathématiques en terminale (appelée à l'époque Math' Elem), Mr. Henri Mas, auquel je tiens à rendre ici hommage non pas tant pour ce qu'il m'a appris que pour ce qu'il m'a donné, définitivement : l'envie d'apprendre, toujours et toujours. La suite elle non plus ne fut pas sans doutes et errements liés à la rigiditérigidité d'un système au sein duquel le choix est fortement conditionné par l'aléatoire des concours et la pressionpression sociale. En bout de course, une fois passée l'école d'ingénieurs, j'ai pris définitivement la direction de l'université pour y exercer le métier d'enseignant-chercheur.

Plus de quarante années après, un regard en arrière me permet d'avoir la certitude d'avoir exercé l'un des plus beaux métiers du monde, celui où le premier devoir est la transmission des vraies connaissances, le second, qui en est le dual, de contribuer un tout petit peu à leur développement. L'un des plus passionnants aussi puisque  rien n'y est jamais acquis, rien n'est jamais achevé, tout peut être encore et toujours approfondi. L'un des plus ludiques enfin car se confronter à une question qui résiste en voulant la faire progresser renvoie à ces souvenirs d'enfance où il fallait alors trouver la pièce manquante du puzzle, mettre la main sur la bonne vis pour achever le Mécano ou identifier le rail qui, à chaque fois, faisait dérailler la loco électrique. 

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métier

Les journées commencent toujours très tôt car, que ce soit à l'Université ou à l'ENS, les cours démarrent souvent à l'heure où les enfants partent pour l'école. Commencées tôt, elles finissent aussi souvent très tard, en soirée. La vie d'enseignant-chercheur est un aller-retour permanent entre une activité où le contact permanent avec le monde est une nécessité et une autre où le calme et le silence sont indispensables à la réflexion, qu'il s'agisse de préparer un cours, de faire avancer le travail de recherche ou de rédiger un ouvrage.

Les heures de bureau, comme on dit, sont d'abord remplies par les obligations d'enseignement. Les cours à dispenser, l'écoute et l'accompagnement des étudiants bien sûr, mais aussi, devenues dévorantes, l'accomplissement des tâches qui leur sont rattachées : réunions en tous genres, souvent bien peu utiles, préparation des examens dont le nombre s'est multiplié, correction de copies et séances de consultation.

De surcroît, et devenues non négligeables au fil des décennies, les activités dites collectives ont pris de plus en plus d'ampleur : participation à la vie institutionnelle de l'université (conseils de toute nature), quand ce n'est pas la responsabilité d'un service d'enseignement grâce (?) à laquelle, du jour au lendemain, un enseignant-chercheur se retrouve patron d'une PME dont il ne maîtrise aucun des moyens, ni financiers ni en personnel, avec pour seule liberté et obligation celle de devoir régler au quotidien mille et un problèmes dont la liste ressemblerait à un inventaire à la Prévert.

Une fois accomplies ces obligations pas toutes statutaires, il reste aujourd'hui trop peu de temps pour ce qui, autrefois, constituait l'activité dominante d'un enseignant-chercheur : faire avancer le boulot de recherche, rédiger des articles, encadrer des doctorants ou des stagiaires, aller parfois dans des congrès et surtout discuter au quotidien avec ceux que l'on côtoie au laboratoire, sur le campus ou un peu plus loin, et qui ont toujours quelque chose à vous apprendre même si leurs préoccupations intellectuelles ne sont pas le miroir des vôtres. Aussi, surmonter la  déception d'un travail qui n'aboutit pas, repousser la paralysie provoquée par les doutes sur soi-même, savoir faire demi-tour pour sortir de l'impasse en gardant, chevillé à l'esprit, l'espoir d'une issue inspirée parfois par l'idée jaillie un matin au réveil, allez savoir pourquoi et comment.

Voilà ce qui, pour moi, appartient désormais au passé : l'heure de la retraite ayant sonné, plus de cours en France, un prof' à la retraite est « interdit de cours » (je cite), encore une exception française, pas la plus glorieuse de toutes mais fort heureusement je continue à avoir une activité d'enseignement sous forme de conférences ou de débats publics de nature variée, voir -  l'interdiction ne vise que ceux dispensés au sein des cursus institutionnels - de vrais cours dans des lycées à l'intention des profs' de CPGE.

Le reste du temps, grâce au statut de professeur émérite (une bénédiction), est à l'image de ce qu'il fut durant des décennies, beaucoup d'obligations en moins, donc moins de stress à un âge où chaque minute rappelle que l'on n'a plus vingt ans : séminaires, discussions avec des étudiants de naguère qui souhaitent garder le contact, reprise d'ouvrages ou envie d'en attaquer d'autres, échanges avec ceux que j'ai la chance de côtoyer quotidiennement au laboratoire. S'ils sont le plus souvent de nature scientifique, il leur arrive d'être consacrés à partager nos impressions et nos inquiétudes sur l'avenir de l'université, portant à la fois sur l'évolution des enseignements dont les contenus réels se réduisent de plus en plus à une peau de chagrin et sur les nouveaux modes de gestion de la recherche, devenus stérilisants à force d'une technocratie persuadée, ou feignant de l'être, que le savoir est une marchandise comme une autre et que la notion d'objectif a la moindre pertinence quand la question n'est pas de fabriquer des objets mais de contribuer à la pérennité du relais qui, depuis des siècles et des siècles, a permis que la connaissance ne se perde pas et puisse rebondir d'une génération à la suivante.