L’ordinateur quantique fait rêver mais il n’est pas du tout évident que les prototypes actuels dépassent un jour le stade de simple curiosité et puissent entrer en compétition avec les ordinateurs classiques. Un groupe de chercheurs de l’université de Yale vient d'apporter un élément nouveau en construisant un véritable processeur quantique.

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    Richard Feynman en séminaire au Cern en 1965 juste après avoir reçu son prix Nobel. C'est l'un des pères de la théorie des ordinateurs quantiques. Crédit : IOP-Cern

    Richard Feynman en séminaire au Cern en 1965 juste après avoir reçu son prix Nobel. C'est l'un des pères de la théorie des ordinateurs quantiques. Crédit : IOP-Cern

    La notion d'ordinateur quantique, et plus généralement d'information et de calcul quantiques, prend naissance au cours des années 1980 grâce à la réflexion de chercheurs comme Richard FeynmanRichard Feynman et David Deutsch. On réalisa alors graduellement que certains calculs effectués avec des ordinateurs classiques pouvaient être menés plus efficacement, et surtout bien plus rapidement, avec des ordinateurs utilisant la superposition d'états quantiques (avec les interférences entre amplitudes de probabilités pour des systèmes quantiques).

    On peut en effet montrer qu'avec un tel ordinateur, on peut élaborer des algorithmes très efficaces pour effectuer certaines tâches, surpassant alors ceux des ordinateurs classiques.

    L'exemple le plus célèbre est probablement celui de l'algorithme de Peter Shor pour la factorisation d'un grand nombre entier. Ainsi, alors que l'on estime à de nombreux milliards de milliards d'années le temps nécessaire pour factoriser un nombre à mille chiffres à l'aide des ordinateurs actuels, cette opération ne demanderait qu'une vingtaine de minutes à un ordinateur quantique.

    De même, Lov Grover a donné un algorithme portant son nom qui permet à un ordinateur quantique de trouver très rapidement une information dans une base de donnéesbase de données dans le désordre.

    Un ordinateur quantique, au lieu d'utiliser des bits d'information, utiliserait des qubits. Alors qu'un bit se trouve dans l'un des deux états binairesbinaires possibles, représentés par 0 ou 1, les qubits sont une superposition quantique de ces états. Cela autorise des sortes de calculs en parallèle et c'est pourquoi un ordinateur quantique est en théorie plus efficace pour chercher des informations dans une base de données.

    Robert J. Schoelkopf, un physicienphysicien de l'université de Yale vient avec ses collègues de publier un article dans Nature dans lequel est décrite la réalisation d'un circuit supraconducteur comportant des milliards d'atomes, capable d'effectuer des calculs avec deux qubits d'information. Le chercheur donne à ce sujet l'image intéressante suivante.

    Si l'on disposait de N= 4 numéros de téléphone dont on sait seulement que l'un doit correspondre à une personne que l'on recherche, il faudrait en moyenne tester deux à trois numéros avant de tomber sur cette personne. Un ordinateur quantique fonctionnant avec le bon algorithme effectuerait ces tests non pas successivement mais simultanément ou presque. Plus précisément, le temps nécessaire pour trouver l'information croît alors comme la racine carrée du nombre N de cas à examiner et non plus linéairement. On comprend que l'on gagne du temps et ce d'autant plus que l'on prend en compte un grand nombre de numéros de téléphone.

    Lov Grover. Crédit <em>Bell Labs</em>

    Lov Grover. Crédit Bell Labs

    Un véritable circuit qui apporte un gain d'un facteur mille... mais insuffisant

    Cependant, pour battre un ordinateur classique, un modèle quantique devrait comporter un grand nombre de qubits, ce qui se traduit en général par un grand nombre de systèmes quantiques, comme des particules portant ces qubits dans un état des superposition.

    Malheureusement, quand ce nombre croît, on s'approche du comportement d'un système classique. Il apparaît le célèbre phénomène de décohérence résolvant le paradoxe du chat de Schrödingerchat de Schrödinger.

    L'objet capable de se comporter comme un ordinateur quantique ne semble pouvoir le faire que pendant un temps d'autant plus court que sa puissance est grande. Dans l'état actuel des connaissances, il y a gros à parier que les effets de la décohérence ne pourront pas être suffisamment maîtrisés pour permettre la réalisation d'un ordinateur quantique de bonne taille, seul capable de battre en vitessevitesse et en puissance un superordinateursuperordinateur classique au moins dans le cas de certains problèmes algorithmiquesalgorithmiques.

    On n'a jusqu'ici réussi à réaliser que de minuscules ordinateurs quantiques fonctionnant avec des ionsions, des atomes ou des photonsphotons. Mais c'est la première fois que l'on réalise un véritable processeur quantique basé sur des milliards d'atomes. Il s'agit, comme l'expliquent Robert Schoelkopf et ses collègues, comme Steven Girvin ou Leonardo DiCarlo, d'un objet supraconducteur refroidi à 13 millikelvins se comportant comme deux atomes artificiels portant deux qubits.

    Alors qu'il y a une dizaine d'années les effets de superpositions quantiques ne pouvaient être maintenus que pendant une nanoseconde environ, les chercheurs parviennent maintenant avec ce dispositif appartenant à la physiquephysique du solidesolide à atteindre un temps de cohérence quantique d'une microseconde. C'est mille fois plus...

    Le chemin à parcourir est encore long avant de battre un ordinateur comme Roadrunner et il n'est même pas du tout assuré que cela soit possible un jour, en raison de l'efficacité du mécanisme de décohérence illustré par les travaux de Serge Haroche.