L’effet tunnel est un phénomène ubiquiste dans les applications de la mécanique quantique. Il est censé se produire de façon instantanée, en contradiction avec certaines expériences. Cette contradiction vient d’être éliminée grâce aux travaux d’une équipe internationale de physiciens.


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    George Gamow est surtout connu comme le père de la théorie du Big Bang avec Georges Lemaître. Mais le physicien s’est aussi intéressé à l’ADN et au code génétique où intervient l’effet tunnel en chimie quantique. © Regents of the University of Colorado

    George Gamow est surtout connu comme le père de la théorie du Big Bang avec Georges Lemaître. Mais le physicien s’est aussi intéressé à l’ADN et au code génétique où intervient l’effet tunnel en chimie quantique. © Regents of the University of Colorado

    Dans leur excellent livre d'introduction à la physique quantique, Jean-Marc Lévy-Leblond et Françoise Balibar n'hésitent pas à affirmer que l'effet tunnel est presque synonyme de cette physique tant on le trouve impliqué à répétition dans les phénomènes qu'elle élucide comme les liaisons chimiques et nucléaires. Les auteurs du célèbre Quantique : rudiments y expliquent aussi que le terme « effet tunnel » est quelque peu injustifié et y proposent une autre illustration de ce phénomène fascinant qu'ils proposaient de rebaptiser « effet saute-mouton ». Rappelons que selon l'explication standard de l'effet tunnel, les ondes de probabilité d'une particule matérielle sont en mesure de lui permettre de traverser une barrière qui serait classiquement infranchissable. Tout se passe donc comme si la mécanique quantique perçait une sorte de tunnel dans cette barrière.

    L'effet tunnel quantique (mais on peut trouver son analogue avec des ondes classiques) a été initialement découvert par George GamowGeorge Gamow (1904-1968). Il s'agissait d'expliquer la radioactivité alpha, ce que fit le grand physicienphysicien d'origine russe, en 1928. Mais de nos jours, ce phénomène est notamment mis à contribution dans le domaine de la physique de la matière condensée, par exemple avec la technique de microscopie par effet tunnel, spectaculairement mise en scène par IBM en nanotechnologie, mais aussi en électronique où on peut citer les mémoires flashmémoires flash.

    Un effet tunnel en temps imaginaire

    On continue donc d'explorer les conséquences de l'effet tunnel dans bien des laboratoires de par le monde comme le montre une publication récente d'une équipe internationale de physiciens que l'on peut trouver sur arXiv. Les chercheurs y donnent la solution d'une énigme que l'on rencontrait dans des expériences faisant intervenir des processus ultrarapides se déroulant à l'échelle de l'attosecondeattoseconde (10-18 secondes), par exemple l'ionisationionisation d'un atomeatome par un photonphoton. C'est un domaine prometteur de la physique depuis une quinzaine d'années comme on peut s'en rendre compte avec les travaux sur les laserslasers ultrabrefs qui permettent de mieux comprendre les réactions chimiquesréactions chimiques.

    Le schéma montre une cuvette d’énergie potentielle Ep en fonction de la distance x. Elle peut représenter l’énergie d’une boule roulant sur les flancs d’une montagne avec une topographie similaire. Classiquement, si la boule roule d’une hauteur supérieure à celle de la paroi finale de la cuvette, elle en sortira. C’est la situation du schéma du haut. Dans le schéma du milieu, la boule débute son mouvement un peu en dessous et restera donc piégée. En bas, la physique quantique autorise parfois son passage, comme si un tunnel existait. © CNRS, Sagascience, Éric Vanneste

    Le schéma montre une cuvette d’énergie potentielle Ep en fonction de la distance x. Elle peut représenter l’énergie d’une boule roulant sur les flancs d’une montagne avec une topographie similaire. Classiquement, si la boule roule d’une hauteur supérieure à celle de la paroi finale de la cuvette, elle en sortira. C’est la situation du schéma du haut. Dans le schéma du milieu, la boule débute son mouvement un peu en dessous et restera donc piégée. En bas, la physique quantique autorise parfois son passage, comme si un tunnel existait. © CNRS, Sagascience, Éric Vanneste

    Il se trouve que l'on peut considérer que l'effet tunnel est instantané et qu'un électronélectron peut donc, en théorie, traverser une barrière plus vite que la lumièrelumière, bien que l'on puisse montrer que cela n'entre pas en contradiction avec la théorie de la relativité. Comme l'explique Anatoli Kheifets, de l'Australian National University (ANU), l'un des auteurs de l'article publié sur arXiv : « On avait toutes les raisons expérimentales de penser que le temps mis par un électron pour échapper d'un atome par effet tunnel était significatif. Mais les équationséquations nous disaient que le temps associé à ce processus était imaginaire, c'est-à-dire un nombre complexe, et nous avons réalisé que cela signifiait que le processus était instantané ».

    Cette conséquence des équations de la mécanique quantiquemécanique quantique peut sembler surprenante, car elle implique que si des particules peuvent d'une certaine façon se déplacer instantanément dans certaines situations, donc plus vite que la lumière, elles devraient pouvoir sortir d'un trou noirtrou noir. De fait, il semble que ce soit bien le cas comme l'ont montré il y a des années, le prix Nobel de physique Frank Wilczek et son collègue Maulik K. Parikh. Les deux chercheurs ont ainsi retrouvé le fameux rayonnement Hawking en l'interprétant comme un effet tunnel à travers l'horizon classiquement infranchissable d'un trou noir pour la matière qui y est piégée.

    Un clé pour la physique et la chimie à l’échelle de l’attoseconde

    Pour résoudre la contradiction entre les expériences et les calculs quantiques avec l'effet tunnel, Kheifets et ses collègues ont modélisé en détail le processus de photoionisation d'un atome à l'aide du superordinateursuperordinateur australien Raijin. Ils ont alors découvert que la duréedurée mesurée pour l'éjection par effet tunnel d'un électron sous l'effet d'un rayonnement était en fait une conséquence de l'effet du champ électriquechamp électrique du noyau de l'atome freinant le mouvementmouvement de cet électron.

    Selon Kheifets, ce résultat permet de réinterpréter sur des bases solidessolides certaines recherches déjà faites dans le domaine de la physique de l'attoseconde ainsi que d'autres à venir et il précise : « C'est un bon point de référence pour de futures expériences comme celle concernant l'étude du repliement des protéinesprotéines ou l'accélération des transports d'électrons dans les puces ».