Les théoriciens sont souvent des amateurs de BD de super-héros. Pour preuve, deux chimistes polonais viennent d'évoquer la kryptonite de Superman dans leur prédiction avec le krypton. Ce gaz noble est chimiquement inerte dans des conditions normales mais il se combinerait avec de l'oxygène pour former un cristal, un kryptoxyde, sous une pression de plus de 300 millions d'atmosphères, selon les calculs des deux chercheurs.

au sommaire


    Deux chimistes polonais viennent de publier dans Scientific Reports un article qui aurait sans doute retenu l'attention de Percy Williams Bridgman (1882-1961), l'un des pionniers de la physique des hautes pressions. En effet, en mettant au point une technique permettant de soumettre des échantillons de matière à des pressions dépassant 100.000 atmosphèresatmosphères, ce physicienphysicien a fait des découvertes qui lui ont valu le prix Nobel de physique en 1946. On peut citer par exemple parmi elles celle de l'existence de nouvelles phases de la glace.

    On lui doit surtout l'idée des cellules à enclumes, qui ont permis de faire des expériences concernant l'état des roches à l'intérieur de la Terre ou de la matière dans le cœur des planètes géantes comme Jupiter. Les cellules à enclumes de Bridgman étaient initialement composées de carbure de tungstènetungstène. Elles ont pavé la voie aux cellules à enclumes de diamant, que l'on utilise aujourd'hui de façon routinière pour les expériences de physique à haute pression.

    Le prix Nobel de physique 1946 Percy Williams Bridgman (1882-1961) a ouvert la voie à l'étude de la matière à haute pression à l'intérieur des planètes. Il a eu comme étudiants Robert Oppenheimer, le grand géophysicien Francis Birch et le futur prix Nobel de physique John Hasbrouck van Vleck. On le considère comme l'un des théoriciens les plus influents de l'opérationnalisme en épistémologie. © Fondation Nobel

    Le prix Nobel de physique 1946 Percy Williams Bridgman (1882-1961) a ouvert la voie à l'étude de la matière à haute pression à l'intérieur des planètes. Il a eu comme étudiants Robert Oppenheimer, le grand géophysicien Francis Birch et le futur prix Nobel de physique John Hasbrouck van Vleck. On le considère comme l'un des théoriciens les plus influents de l'opérationnalisme en épistémologie. © Fondation Nobel

    D'après les deux chercheurs polonais, qui sont des théoriciens de la chimiechimie, ces cellules à enclumes de diamantdiamant devraient leur permettre de vérifier l'existence d'un nouveau cristal à base d'un gazgaz rare, le kryptonkrypton. Les deux hommes sont bien de leur époque et confirment l'enthousiasme de nombreux théoriciens (qu'ils soient chimistes ou physiciens) pour les super-héros - voir à ce propos la série télévisée The Big Bang Theory -, les deux hommes se sont amusés à présenter leur travail en faisant référence à la kryptonite de Superman.

    La raison en est simple : ils prédisent la formation d'un cristal formé d'oxyde de krypton dans des conditions de pression suffisamment élevées. Une telle affirmation passera probablement pour hérétique chez les chimistes débutants. On leur apprend en effet que la structure électronique des atomesatomes des gaz nobles comme l'héliumhélium, l'argonargon ou le krypton - structure qui explique leur capacité à former des liaisons chimiquesliaisons chimiques - ne devrait exister qu'à l'état d'atome. C'est en effet ce que les observations ont longtemps semblé prouver.

    Un cristal de krypton sous plus de 300 millions d'atmosphères

    Cependant, dès 1933, le célèbre Linus PaulingLinus Pauling avait prédit que des composés moléculaires devaient tout de même exister avec les gaz nobles les plus lourds dans des combinaisons avec le fluorfluor et l'oxygèneoxygène. Il avait ainsi prédit l'existence de l'hexafluorure de xénonxénon XeF6 et de l'hexafluorure de krypton KrF6. Les expériences lui ont donné raison et en 1962 des cristaux d'hexafluoroplatinate de xénon ont démontré pour la première fois que le krypton n'était pas totalement inerte du point de vue chimique. Des combinaisons de carbonecarbone, hydrogènehydrogène et krypton sous forme de moléculesmolécules ont aussi été trouvées par la suite. Toutefois, en ce qui concerne des composés macroscopiques sous forme de solidessolides cristallisés avec le krypton, c'était une autre affaire.

    Des simulations numériquessimulations numériques complexes ont pourtant été menées sur ordinateurordinateur. Elles utilisaient une méthode avancée en physique de la matière condensée basée sur la mécanique quantique et ont montré que du monoxyde de krypton (qu'il serait plus juste d'appeler du kryptoxyde) devrait pouvoir exister sous forme cristallineforme cristalline en utilisant des pressions entre 300 et 500 millions d'atmosphères. Comme la planète Krypton de Superman est censée être une superterre bien plus massive que notre planète, on peut penser que ce cristal pourrait peut-être se former dans son intérieur.

    En tout état de cause, la théorie indique que ce monoxyde de krypton devrait se comporter comme un semi-conducteursemi-conducteur et être de couleurcouleur noire. Il ne s'agirait donc pas vraiment de la kryptonite de Superman, bien que cette dernière est censée pouvoir exister sous différentes couleurs. Cela serait toutefois un joli clin d'œilœil au monde des super-héros.