Il y a 60 ans, le 29 septembre 1954 précisément, une convention signée par 12 États européens officialisait l’existence de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, plus connue aujourd’hui sous le nom de Cern. Quelques mois auparavant, la construction des bâtiments de ce qui est devenu le plus grand laboratoire de physique des particules au monde avait commencé. C'est là que sera conçu le World Wide Web et découvert le boson de Brout-Englert-Higgs.

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    La reconstruction de l'Europe après la Seconde guerre mondiale imposait la collaboration de nations autrefois ennemies. La recherche fondamentale était l'un des domaines qui permettait d'œuvrer dans ce sens. Il fallait aussi éviter la fuite des cerveaux vers les États-Unis, où avait déjà émigré quelques-uns des plus éminents physiciensphysiciens du vieux continent, ce qui avait contribué au succès du projet Manhattan.

    Une véritable coopération scientifique européenne ne pouvait évidemment pas se faire autour de la physique des armes nucléaires, le sujet étant sensible et entouré de trop de secrets. Si un grand laboratoire voyait le jour, comme l'appelaient de leurs vœux des personnalités comme les prix Nobel de physique Louis de BroglieLouis de Broglie et Isidore Rabi, cela ne pouvait donc pas se faire autour d'un réacteur nucléaire mais plutôt d'un accélérateur de particules. Après avoir exploré les mystères du noyau atomique au cours des années 1930 à 1940, les physiciens défrichaient en effet à l'époque un nouveau territoire qui, pour l'essentiel, ne pouvait alors s'étudier qu'avec les rayons cosmiques, à savoir l'univers des particules subatomiques, tels les mésons et les neutrinos.


    Il y a 10 ans, on fêtait le cinquantenaire du Cern avec ce film qui retrace l'histoire du plus grand laboratoire du monde étudiant la nature de la matière. Ce documentaire passe en revue un demi-siècle d'aventures scientifiques, depuis les aspirations des fondateurs jusqu'au dernier accélérateur de particules du laboratoire, le Grand collisionneur de hadrons, d'un diamètre de 27 kilomètres. Le LHC n'était pas encore opérationnel et le boson de Brout-Englert-Higgs pas encore découvert. © 2004 Cern

    Des rayons cosmiques aux synchrotrons à protons

    Le Conseil européen pour la recherche nucléaireConseil européen pour la recherche nucléaire voit le jour en 1952. Il est chargé d'étudier la faisabilité d'un laboratoire européen autour de la physique des hautes énergies, par opposition à celle des réactions nucléaires qui se font à des énergies plus faibles. Il laissera la place en 1954 à l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire dont la création est officialisée le 29 septembre de la même année.

    On continuera cependant à utiliser l'acronyme de Cern pour le désigner. De nos jours, ce terme évoque le centre dont la constructionconstruction avait débuté en mai 1954 sur la plaine de Meyrin, une commune suisse du canton de Genève, et les grands accélérateurs qui leur sont associés comme le LHC ou le Proton Synchrotron (PSPS).


    Les recherches menées au Cern ont permis de vérifier les prédictions du modèle standard des particules dont l'épine dorsale est constituée par la théorie électrofaible développée par les théoriciens pendant les années 1960 et au début des années 1970. Au cœur de cette théorie se trouve le mécanisme de Brout-Englert-Higgs qui donne une masse aux particules élémentaires. © 2014 Cern

    Des bosons Z et W au boson de Brout-Englert-Higgs

    À partir de la fin des années 1950, le Cern va accompagner la découverte du modèle standardmodèle standard de la physique des particules de multiples façons et pas seulement grâce à ses accélérateurs. Plusieurs grands noms de la physique théorique, comme Gerard 't Hooft ou Murray Gell-Mann, vont faire des passages fructueux dans la division de physique théorique du Cern. C'est pendant son séjour que George Zweig va mener ses travaux le conduisant à la théorie des quarks, indépendamment de Gell-Mann. On peut citer aussi la découverte par John BellJohn Bell de ses fameuses inégalités à la suite des réflexions sur le paradoxe EPR qu'il avait menées au Cern au début des années 1960.

    Georges Charpak rendra hommage à plusieurs reprises au Cern pour lui avoir permis de développer son célèbre détecteur, la chambre proportionnelle multifils, qui a vu le jour en 1968. Sans cela, bien des découvertes de la physique des hautes énergies depuis près de 40 ans n'auraient pas été possibles. Comme on peut le voir dans la vidéo plus haut, avant l'utilisation de ce détecteur révolutionnaire couplé à un ordinateurordinateur, les « scanning girls » (ainsi appelait-on ce personnel féminin) devaient passer de longues heures à étudier les photos prises dans des chambres à bulles. Une tâche qui devenait de plus en plus difficile au fur et à mesure qu'augmentait le nombre de particules produites dans les collisions.


    Un documentaire sur la découverte des bosons W et Z, au Cern, au début des années 1980. Ces bosons sont massifs en raison de l'existence du mécanisme de Brout-Englert-Higgs. © Cern, BBC Open University, YouTube

    Mais c'est par la confirmation du modèle des interactions électrofaibles, unifiant la force électromagnétique et la force nucléaire faibleforce nucléaire faible, que le Cern a vraiment acquis ses titres de gloire. Cela a commencé par la mise en évidence des courants neutres, annoncée en 1973, faisant intervenir les bosonsbosons Z postulés par la théorie de Glashow-Salam Weinberg, et s'est poursuivi en 1983 par la découverte directe des bosons W et Z. Celle-ci conduira à l'attribution du prix Nobel de physique l'année suivante à Carlo Rubbia et Simon van der Meer.

    Dans la foulée, la chasse au boson de Brout-Englert-Higgs, dont le champ est responsable des massesmasses des bosons W et Z et très probablement aussi de celles des quarks et des leptons, va être ouverte avec les projets qui déboucheront sur la construction du Lep dans un premier temps et, par la suite, du LHCLHC. Elle aboutira à la conférence du 4 juillet 2012 révélant la découverte d'un nouveau boson identifié en 2013 comme étant bel et bien celui découlant des travaux de Peter HiggsPeter Higgs, François Englert et Robert Brout.


    Hadronthérapie, panneaux solaires et World Wide Web sont quelques-unes des retombées technologiques qui affectent directement la vie quotidienne en conséquence des recherches menées au Cern, comme l'explique cette vidéo. © 2014 Cern

    Expositions et web documentaire pour les 60 ans du Cern

    Comme le montre la vidéo ci-dessus, le Cern ne se contente pas de sonder les arcanes de la matièrematière, à la recherche des particules de matière noire, des secrets du plasma de quarks-gluons pendant le Big BangBig Bang, ni de chercher à résoudre l'énigme de l'antimatièreantimatière cosmologique. La physique des accélérateurs et des détecteurs a des applicationsapplications en médecine, en particulier dans la lutte contre le cancercancer. On peut aussi citer la création en 1989 du World Wide Web par le Britannique Tim Berners-Lee.

    Le CEA et le CNRS ont largement contribué à la saga du Cern et c'est pourquoi ces deux organismes sont à l'origine de plusieurs rendez-vous en France : conférences, visites guidées, animations et expositions, ainsi que de sites Web consacrés au soixantième anniversaire.

    On notera en particulier :

    • Les expositions Experts en la matière - Regards sur le Cern et Le Grand Collisionneur (LHC), qui se tiendront au Palais de la Découverte à Paris du 17 octobre 2014 au 19 juillet 2015. La première rassemble soixante portraits de Français ayant contribué d'une façon ou d'une autre au succès du Cern. La seconde mêle théâtre, vidéo et art sonore pour présenter simplement les grandes questions posées par la physique des particules ainsi que le LHC.
    • Le Web-documentaire Expérience Cern 360, qui permet de s'immerger dans l'atmosphèreatmosphère du Cern à l'aide d'une visite de ses installations en vue panoramique. Découverte complétée par des textes, photos, vidéos, sons et animations.