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    LE SYSTEME METRIQUE, UNE MINE POUR UN ENSEIGNEMENT INTERDISCIPLINAIRE ET POUR LES TPE

    L'histoire du système métrique est une véritable mine pour la compréhension de la physique par les élèves et, de plus, elle jette un pont en direction de l'histoire, de la géographie et de la littérature.

    Pour illustrer mon propos, je décrirai ci-dessous une expérience que j'ai effectuée avec une Seconde. Mais avant cela, voici quelques points forts du programme de physique de cette classe :

    • a) les ordres de grandeurs (c'est-à-dire des puissances de dix)
    • b) la mesure des longueurs depuis l'échelle microscopique jusqu'au Rayon de la Terre (en utilisant notamment le procédé de la triangulationtriangulation)
    • c) l'étude de dispositifs de mesure du temps (en particulier le pendule)

    Je décrirai ci-dessous comment l'histoire du mètre unifie ces chapitres

    Rappel de l'histoire du mètre

    La création du système métrique décimal a été rendue nécessaire par l'extrême variété des unités : la même appellation servait pour différentes mesures, alors qu'une même grandeur avait plusieurs noms. C'est pourquoi de nombreux Cahiers de doléances expriment en 1788 le souhait d'une simplification demande qui vient aussi bien des paysans -ils souhaitent en finir avec les abus - que des commerçants - ils souhaitent faciliter la circulation des marchandise - et des savants -ils se plaignent du temps perdu dans les conversions d'unités -.

    En 1790, Talleyrand - dont le nom est connu dans la diplomatie - fait voter une loi qui adopte comme étalon de mesure la longueur du pendule qui bat la seconde. Cette grandeur devait rendre caduquescaduques les innombrables unités de longueur, de superficie et de volume utilisées dans le royaume : elles laisseraient la place aux mètres, mètres carrés et mètres cubes.

    La loi relie aussi les unités de longueur et de « poids » (à l'époque, synonyme de masse) qui étaient jusqu'alors étrangères l'une à l'autre : on définit le « poids » comme la masse d'un décimètre cube d'eau. Ainsi, il suffisait de déterminer la longueur du pendule pour avoir un système complet. Les savants parachèvent ce dispositif en remplaçant le système duodécimal (à base 12) par l'arithmétique décimale : ils introduisent donc les préfixes déci, centi, milli, déca, hecto, kilo etc. qui expriment les rapports de division et de multiplication par dix. Parmi les savants concernés par le système métrique figurent Lavoisier (chargé du « poids » avec Haüy), Borda, Laplace, Lagrange, CoulombCoulomb, Monge etc.

    Mais l'idée du pendule échoue : sa longueur manque d'universalité car elle dépend du lieu des oscillations et, de plus, elle dépend de la seconde, unité « étrangère » à la longueur. En 1791, on change donc la définition du mètre qui devient la dix millionième partie du quart du méridien terrestre : cette valeur indépendante du lieu géographique peut donc prétendre à l'« universalité ». Pour l'établir, on mesure par triangulation le tronçon du méridien allant de Dunkerque à Barcelone il s'agit de celui de Paris, la « Méridienne Verte ». Elles sont assurées par Méchain et Delambre dans une situation politique confuse.

    En effet, ces mesures débutent alors que la France est envahie par des puissances étrangères, que la République est proclamée, qu'on institue un calendrier républicain, que Louis XVI est guillotiné, que la guerre contre l'invasion étrangère s'intensifie, que la guerre civile (notamment en Vendée) éclate, que les Académies sont dissoutes, qu'il se forme un Comité de Salut Public, que le peuple et les savants se mobilisent pour sauver la Révolution, que la Terreur s'installe, que Lavoisier est guillotiné, que Condorcet persécuté se suicide, que Robespierre est à son tour guillotiné, que les coups d'Etats se succèdent, que les assignats se dévaluent et, enfin, que Napoléon Bonaparte prend le pouvoir le 18 brumaire. Pendant ces sept années troublées, l'histoire du mètre se mêle à l'histoire de la France.

    On comprend aisément l'intérêt d'étudier l'histoire du système métrique en Seconde en parallèle et en association avec le professeur d'histoire qui doit enseigner la Révolution Française.

    Mon expérience

    On reconnaît dans cette brève description les points forts du programme de Seconde soulignés plus haut : la triangulation, la mesure du rayon de la Terre (mesurer un méridien, revient à mesurer le rayon de la Terre), l'étude du pendule et celui des ordres de grandeurs (c'est-à-dire des préfixes décimaux).

    J'ai organisé un affichage sur le système métrique dans le hall du lycée par les élèves d'une classe de Seconde. Ils ont travaillé en groupes autour des thèmes suivants : Les unités avant la Révolution, nécessité d'une réforme ; Les différentes définitions du mètre, raisons du changement ; La mesure du méridien, la triangulation ; Les acteurs de la révolution métrologique ; La décimalisation et la nomenclature décimale ; Du Système Métrique au Système International. Un point central du travail a été la visite le Musée du Conservatoire National des Arts et des Métiers où se trouvent des nombreux étalons anciens de longueur, de masse et de capacité, un cercle répétiteur (instrument géodésique utilisé pour la triangulation du méridien), plusieurs dispositifs de mesure du temps (sabliers, horloges à eau, montres marines, etc.), quelques montres décimales et ce qui reste du laboratoire de Lavoisier (en particulier un gazomètre et deux balances fabriquées par Fortin et Megnié).

    Nous avons réalisé l'affichage au troisième trimestre : pendant les recréations, les élèves se sont groupés autour des panneaux pour donner des explications aux autres lycéens et pour éviter des dégradations.

    Ma première difficulté a été de convaincre les élèves de varier leur documentation : le nombre de livres sur la question est abondant, mais ils se limitent au Quid, à InternetInternet et à quelques encyclopédies dont ils reproduisent les articles sans discernement, et parfois sans en comprendre le contenu. J'ai dû insister beaucoup pour qu'ils n'écrivent que ce qu'ils étaient capables de reformuler avec leurs propres mots.

    Ma deuxième difficulté a concerné les biographies des bâtisseurs du système métrique : si elles étaient convenables pour Borda, Méchain et Delambre, les données (très abondantes) pour Talleyrand, Condorcet, Lavoisier, Laplace, etc. évoquaient très rarement leurs participations au système métrique. Pire encore, il y avait une indigence incompréhensible d'informations accessibles au grand public pour Prieur de la Côte d'Or, un des acteurs les plus importants de cette aventure.

    Même si cette activité a été enrichissante pour mes élèves de Seconde, je suis persuadé qu'il existe d'autres manières d'utiliser cette même histoire dans nos cours. De plus, elle s'adapte parfaitement pour les TPE, dont un des thèmes en Terminale est justement l'histoire du mètre, question qui relie la physique à l'histoire autour de la Révolution Française, et la physique (et les mathématiques) au français autour de Condorcet. Elle relie aussi la physique à la géographie autour de la cartographie (d'ailleurs les élèves sont surpris d'apprendre que les cartes étaient dressées par des astronomesastronomes) et de la décimalisation : les révolutionnaires ont en effet décimalisé le cercle (qui est passé de 360° à 400 grades) et le temps (ils ont introduit un calendrier révolutionnaire et abandonné la division de la journée en 24 heures au profit d'une journée de 10 « heures » de 100 « minutes » et de 100 « secondes » chacune. (Cette division de la journée et le calendrier révolutionnaire constituent des thèmes de choix pour le TPE de Première « Temps, Rythmes et Périodes »). Les décimalisations du cercle et de la journée ont rencontré des oppositions diverses, certaines liées à la navigation et à la cartographie. Rappelons que « longitudelongitude » et « heure » sont reliées par la rotation de la Terre : un tour de 360° de notre planète en 24 heures correspond à 15 degrés de longitude par heure.

    Les collègues qui voudraient connaître plus de détails sur mon expérience en Seconde peuvent se reporter à l'article que j'ai écrit pour le Bulletin de l'Union des PhysiciensPhysiciens (n° 843, mai 2002). D'autre part, je me tiens aussi à la disposition des collègues qui voudraient bien m'écrire.