En enregistrant les ondes cérébrales correspondant à la parole, une équipe du Karlsruhe Institute of Technology (Allemagne) et du Wadsworth Center (États-Unis) a réussi à lire et à restituer des phrases entières pensées en langage naturel. Même si l'expérience impose des électrodes intracrâniennes, cette avancée pourrait faire progresser les interfaces cerveau-machine de façon significative.

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    La reconnaissance du langage naturel est considérée comme l'une des clés des interfaces du futur. Pouvoir parler à une machine comme à un humain est, d'un point de vue technologique, un Graal après lequel courent nombre de chercheurs et d'industriels. Pourtant, cet exploit ne sera peut-être qu'une simple étape vers une fin encore plus impressionnante : parler à une machine en langage naturel... uniquement par la pensée !

    Depuis environ une dizaine d'années, les neuroscientifiques ont découvert comment reconnaître des mots à partir des signaux cérébraux. Citons notamment les travaux du professeur Bradley Greger (article publié dans Journal of Neural Engneering) qui, en 2010, est parvenu à isoler les signaux cérébraux correspondant à certains mots du langage tels que « oui », « non » et « bonjour ».

    Cette technique nommée Brain-to-text (du cerveaucerveau au texte) vient de connaître une avancée très importante. Une équipe constituée de chercheurs du Karlsruhe Institute of Technology (KIT, Allemagne) et du Wadsworth Center (États-Unis) vient ainsi de franchir une étape cruciale en parvenant à restituer sous forme de texte des phrases complètes pensées en langage naturel. Qui plus est, ce décodage du substratsubstrat neuronal associé à la parole et au traitement du langage est, pour la première fois, réalisé à partir d'un discours parlé en continu.

    Pour cette expérience qui s'est déroulée aux États-Unis, les scientifiques ont travaillé avec sept personnes souffrant d'épilepsieépilepsie et qui ont accepté de participer dans le cadre de leur traitement clinique. L'enregistrement des ondes cérébrales a été réalisé par électrocorticographie (ECoG). Des électrodesélectrodes ont été implantées sous la voûte crânienne à la surface du cortexcortex cérébral, au niveau de l'hémisphère gauche et, plus particulièrement, de certaines zones des lobes frontaux et temporaux. L'objectif était de capter les signaux à la sortie des aires responsables du langage. Chaque participant devait lire un texte à voix haute pendant que les signaux ECoG étaient enregistrés. En plus de l'activité électrique du cerveau, les scientifiques ont aussi enregistré la forme de l'onde acoustiqueonde acoustique du langage de chaque candidat.

    Cette image permet de suivre le procédé d’enregistrement des ondes cérébrales associées au langage et à la parole par électrocorticographie (ECoG). Les électrodes (cercles bleues) détectent l’activité cérébrale spécifique (zones bleues et jaunes) qui se produit à chaque mot. © CSL, KIT

    Cette image permet de suivre le procédé d’enregistrement des ondes cérébrales associées au langage et à la parole par électrocorticographie (ECoG). Les électrodes (cercles bleues) détectent l’activité cérébrale spécifique (zones bleues et jaunes) qui se produit à chaque mot. © CSL, KIT

    Parler à un ordinateur par la pensée

    En conclusion de leur article publié dans la revue Frontiers in neuroscience, les chercheurs précisent que tout le processus de traitement et de décodage de Brain-to-text pourrait se faire en temps réel via une applicationapplication en ligne depuis un ordinateur. Ceci suggère que des interfaces neuronales pourraient un jour exploiter cette technologie et ouvrir de nouvelles possibilités. Des personnes paralysées et privées de la parole pourraient ainsi communiquer en langage naturel grâce à leur seule pensée. Un espoir immense pour tous les patients victimes de ce que l'on appelle le syndromesyndrome du « locked in », qui conservent toutes leurs facultés intellectuelles mais ne peuvent plus ni bouger ni parler.

    En allant même encore plus loin, on peut imaginer que cette technologie pourrait servir à communiquer silencieusement avec un smartphone, un ordinateur ou tout autre objet connecté. Plutôt que de parler à voix haute pour commander un assistant vocal type Siri ou Cortana, on pourrait tout aussi bien communiquer à l'aide d'une pensée en langage naturel. Nous en sommes toutefois encore loin... Le Brain-to-text réalisé par le KIT fonctionne sur une base de données de mots encore très maigre et le taux d'erreur est tout de même de 25 %. Le principal obstacle à court terme est la nécessité d'utiliser des électrodes intracrâniennes pour capter le signal du cortex cérébral. Les progrès sont à attendre, surtout du côté de l'interface de détection du signal qui pourrait reposer sur une technologie moins intrusive et tout aussi performante.