Des physiciens du National Institute of Standards and Technology (NIST) ont réalisé un simulateur quantique de matériaux magnétiques. S’il s’agissait d’un véritable ordinateur quantique programmable, il constituerait, fort de ses 350 qubits, une révolution sans précédent. Même si ce n'est pas le cas, ce système surpasse déjà, dans son domaine, les plus puissants supercalculateurs ainsi que de précédents simulateurs du même genre.

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    On fait généralement naître les premières réflexions sur les ordinateurs quantiquesordinateurs quantiques du début des années 1980 avec le prix Nobel de physiquephysique Richard Feynman. Ami de John Von NeumannJohn Von Neumann et Stanislaw Ulam depuis le projet Manhattan à Los Alamos, Feynman avait été très tôt au contact des premiers calculateurs et connaissait leur importance pour la physique. Pendant les années 1970, son intérêt pour l'informatique eut l'occasion de se développer encore et il devint un ami proche de Daniel Hillis, connu actuellement pour son projet de l'Horloge du Long Maintenant, ainsi que de Stephan Wolfram.

    Pendant les années 1970, il était devenu clair que les hadronshadrons étaient constitués de quarksquarks liés par des gluonsgluons décrits par la théorie de la chromodynamique quantiquechromodynamique quantique. Mais les équationséquations de cette théorie étant non linéaires, il était difficile de les résoudre analytiquement pour calculer des quantités aussi simples que la masse d'un proton. C'est peut-être ce problème, entre autres, qui a poussé Richard FeynmanRichard Feynman à réfléchir à la possibilité d'utiliser la mécanique quantiquemécanique quantique pour faire des ordinateurs plus performants, capables de simuler des systèmes quantiques trop difficiles, voire impossibles à simuler pour un ordinateur classique.

    Le prix Nobel de physique Richard Feynman s'est intéressé à la réalisation d'ordinateurs quantiques. © Tom Harvey

    Le prix Nobel de physique Richard Feynman s'est intéressé à la réalisation d'ordinateurs quantiques. © Tom Harvey

    Avant l'ordinateur quantique, réalisons un simulateur quantique

    En tout état de cause, Feynman et d'autres après lui devaient montrer dans les années 1980 que des calculs quantiques, non plus avec des bits d'information mais bien des qubitsqubits, permettaient effectivement d'effectuer en des temps records certains calculs échappant pour des temps raisonnables aux supercalculateurs classiques.

    L'idéal serait bien sûr de disposer d'un véritable ordinateur quantique universel programmable, une machine de Turing universelle, mais on se trouve confronté à un redoutable obstacle si l'on souhaite obtenir ne serait-ce que l'équivalent d'une calculatrice programmable des années 1970 : celui de la décohérence.

    Un objectif plus raisonnable est d'obtenir plutôt un simulateur quantique, c'est-à-dire l'équivalent des calculateurs analogiquesanalogiques que l'on employait déjà avant que n'existent des ordinateurs. Ainsi, un circuit électrique avec des oscillateurs simples à fabriquer et à modifier peut être décrit par des équations mathématiquement identiques à celles d'un système mécanique complexe, comme une voiturevoiture ou un avion. De même, certains systèmes quantiques aux propriétés facilement contrôlables sont équivalents à d'autres qui le sont plus difficilement.

    On cherche en particulier à comprendre de cette façon ce qui se passe dans certains matériaux magnétiques complexes, comme les supraconducteurs à hautes températures critiques. La chimie n'est pas en reste puisque l'on tente aussi de faire des simulateurs quantiques de certaines moléculesmolécules.


    Une vidéo expliquant quelques-unes des caractéristiques des travaux des physiciensphysiciens du National Institute of Standards and Technology (NIST) concernant leur simulateur quantique. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur « cc » pour que s'affichent d'abord des sous-titres en anglais si ceux-ci n'apparaissent pas déjà. En passant simplement la souris sur « cc », apparaîtra « Traduire les sous-titres ». Cliquez pour faire apparaître le menu du choix de la langue, choisissez « français » puis « ok ». © usnistgov-YouTubeYouTube

    Simuler un réseau cristallin pour mieux le comprendre

    Pour réaliser un simulateur quantique de milieux magnétiques, un bon moyen est d'utiliser un piège à ionsions, comme celui de Penning, pour tenter de reconstituer l'équivalent d'un modèle d’Ising en 2D. Des ions de bérylliumbéryllium possèdent un moment cinétiquemoment cinétique qui les dote aussi d'un moment magnétiquemoment magnétique. Selon l'orientation de ce moment cinétique, haut ou bas, on a donc l'équivalent d'un chiffre binaire, 0 ou 1. Comme ces ions peuvent être placés en état de superposition et même d'intrication quantiqueintrication quantique, il s'agit bien de qubits (quantum bits).

    Jusqu'à présent, la description par un supercalculateur d'une sorte de modèle d'Ising en 2D, c'est-à-dire un réseau cristallinréseau cristallin formé d'ions avec un moment magnétique, devenait impossible au-delà de 30 particules lorsque les interactions entre ces ions étaient assez fortes. Il faut alors, en effet, calculer avec 230 nombres binairesnombres binaires au minimum. Même des simulateurs quantiques n'étaient pas allés au-delà. Cela vient de changer avec un article publié dans Nature par des chercheurs du National Institute of Standards and Technology (NIST).

    Un schéma montrant une partie des ions de béryllium (sphères bleues) piégés et plongés dans un champ magnétique de 4,5 teslas. Leur moment magnétique (flèches rouges) est orienté dans une même direction. © Britton/NIST

    Un schéma montrant une partie des ions de béryllium (sphères bleues) piégés et plongés dans un champ magnétique de 4,5 teslas. Leur moment magnétique (flèches rouges) est orienté dans une même direction. © Britton/NIST

    Au programme : les mystères des supraconducteurs

    Les chercheurs ont créé un cristal d'environ 1 mm de diamètre et contenant 350 ions de béryllium refroidis par laserlaser presque au zéro absoluzéro absolu. Ces ions peuvent constituer 350 qubits d'information, soit 10 fois plus que dans d'autres simulateurs quantiques de ce genre. C'est donc bien au-delà de la puissance de calcul nécessaire possiblement atteinte avec les meilleurs supercalculateurs classiques. En effet, 2350 représente plus de 10100 nombres binaires, c'est-à-dire plus que le nombre de protonsprotons et de neutronsneutrons supposés contenus dans l'universunivers observable. Ces ions peuvent osciller collectivement à la façon d'une membrane de tambour (voir la vidéo ci-dessus) et l'on peut régler diverses caractéristiques de ce réseau cristallin reconstitué à l'aide de micro-ondes et d'impulsions lasers, comme si on avait affaire à différents types de réseaux cristallins avec des couplages faibles ou forts entre les ions.

    Dans le cas des couplages faibles, des calculs peuvent tout de même être effectués à l'ordinateur, ce qui a permis de tester les capacités de ce simulateur quantique. Les chercheurs l'utilisent maintenant avec des couplages forts entre les ions, dans l'espoir d'avoir de nouveaux aperçus, par exemple, sur le comportement interne des supraconducteurs non conventionnels comme les cupratescuprates.